lundi 17 décembre 2012

La pyramide sociale et l'élite


«... un double divorce est en train de s'opérer sous nos yeux :
entre le peuples et les élites d'une part;
entre le peuple et le progrès de l'autre »
Jacques Julliard
"La faute aux élites" Gallimard 1997
[Ne serait-ce pas plutôt entre le peuple d'une part
et le progrès allié aux élites d'autre part ?]


«... un double divorce est en train de s'opérer sous nos yeux :
entre le peuples et les élites d'une part;
entre le peuple et le progrès de l'autre »
Jacques Julliard
"La faute aux élites" Gallimard 1997
[Ne serait-ce pas plutôt entre le peuple d'une part
et le progrès allié aux élites d'autre part ?]

Parler de sommet de la pyramide sociale plutôt que d’élite serait une précaution permettant d’éviter l’amalgame de tous les membres de la société qui en occupent le sommet et y exercent leur autorité intellectuelle et morale, en compagnie du pouvoir de l'argent. Une telle promiscuité n’est pas en effet sans conséquences, outre l'abus de pouvoir auquel se livrent de trop nombreux imposteurs. S'il est réducteur de ramener la richesse – comme la pauvreté – de la société et de chacun de ses membres à son seul aspect matériel, il l'est davantage encore de considérer qu'il suffise d'occuper le sommet de la pyramide sociale pour en être digne et y exercer une autorité, quand bien même elle ne serait qu'immatérielle. C'est une prédominance et une insuffisance de partage bien plus complexes et solidement établies que celles du seul argent, émanant notamment des pouvoirs médiatique, politique, religieux, scientifique et technique, qui est en cause lorsqu'il est question d'inégalités. Dans une telle perspective, le pouvoir de l'argent, bien que dominant trop souvent les autres, est à leur service comme il en est le ciment.

La véritable fixation dont font l'objet les inégalités sociales, vues à travers le prisme réducteur des richesses matérielles, fait oublier les autres, lesquelles prospèrent elles aussi au préjudice aggravé de ceux qui en sont les victimes, dans une discrétion pour le moins surprenante de la part des premiers dénonciateurs de leurs malheurs. L'opacité qui règne à propos de la richesse matérielle et de ceux qui se la partagent n'est d'ailleurs pas la moindre manifestation des pouvoirs s'exerçant sur l'ensemble de la société, au point de s'interroger sur l'intérêt que pourraient avoir une partie de l'élite à s'allier avec ses pseudo membres pour en tirer un supplément de caution, quel qu’en soit le caractère suspect.

Quoi qu’il en soit, la question est de savoir dans quelle mesure et avec quels arguments ceux qui peuplent le sommet de la pyramide sociale en admettent ou en rejettent la représentation proposée ici, et nient les effets de la croissance démographique sur la pauvreté et les inégalités.

Les religions

Nous y reviendrons en détail, mais elles ont en commun de promettre à l'homme le bonheur dans l'au-delà, en compensation de sa condition ici-bas, avec pour effet des résultat jusqu’ici incontrôlés mais de l'avoir fait patienter aussi longtemps que sa crédulité n'a pas eu à subir les assauts d'une information omniprésente, véhiculant un savoir chaque jour plus étendu et partagé, quitte à être illusoire. D'anciennes civilisations et leurs prêtres l'avaient bien compris, qui allaient jusqu'à réserver aux seuls notables l'usage de l'écriture, punissant de mort toute infraction à cette règle. Leur promesse, aveu implicite de la reconnaissance du caractère incontournable de la pyramide sociale, garantit en tout cas un ordre n'ayant rien d'autre que de temporel, en y soumettant d'abord les plus crédules, naturellement recrutés à la base de cette pyramide.

L'une des grandes religions s'accommode des statistiques démographiques produites par les experts en la matière, en dépit des approximations et du caractère douteux dont elles sont entachées, mais il y a pire. Il suffit pour s'en apercevoir de penser aux invitations à croître et à multiplier, prêchées par toutes, et à la polygynie prônée par l’une d’entre elles. Une planisphère localisant cette pratique, qui est l'aspect le plus préoccupant de la polygamie en regard de la natalité, permet de constater sa relation étroite avec les zones de surpopulation dans le monde.


Source Wikimedia - internet



Et le fait que la religion dont elle est encore l'une des valeurs – ses prophètes ayant apparemment mieux anticipé que d'autres le parti qu'ils pourraient tirer de la démographie – au point que ses intégristes les plus actifs fassent du ventre de leurs femmes l'une des armes les plus efficaces de sa volonté affichée de conquérir l'univers *, n'a rien de rassurant, ne serait-ce que du seul point de vue qui nous intéresse ici.

Apparaît dès lors la mesure dans laquelle la misère des hommes a été et demeure le socle sur lequel les religions se sont édifiées et continuent de reposer. Elles pourrait suffire à expliquer que ces religions soient objectivement opposées au principe de dénatalité, et tellement résolues à ignorer l'abomination de la pyramide sociale autant que son hypertrophie.

"L'intelligentsia"

Véritable diaspora, elle est issue de cette multitude de modernes clercs et praticiens que sont savants, scientifiques, techniciens, enseignants et docteurs en tous genres. S'y mêlent les représentants de la pseudo élite dont il est question plus haut : beaux esprits et autres philosophes plus ou moins libres-penseurs, provenant du show-business, des sports, des lettres, etc ... Maîtres à penser grands et petits, reconnus aussi bien qu'autoproclamés. Gonflés de certitudes dogmatiques pour bon nombre d'entre eux, ils pratiquent des langages, formules et indices connus d'eux seuls pour exercer à l'égard de plus ignorants qu'eux, une véritable dictature dont la pensée unique est l'exemple flamboyant. Toujours prêts à s'indigner de tout sans se préoccuper des fondamentaux, comme en attestent par exemple la médiatisation de leurs innombrables interventions en faveur de l'environnement ou contre tel ou tel pouvoir, il est compréhensible que la pyramide sociale puisse n'avoir pour eux rien de particulièrement remarquable – pas davantage que pourrait les inquiéter l’hypertrophie de sa base – et qu'ils soient amenés à combattre les inégalités dans une confusion qui ne fait que les aggraver. Bien que caricatural, Il suffit pour s'en rendre compte de lire l'article intitulé "La polygamie: pourquoi pas ?", paru le 24 mars 2012 sous la signature d'une auteure qui se qualifie de philosophe et dont voici l'introduction : « Pourquoi est-il devenu aujourd'hui impossible de prononcer le mot polygamie sans qu'aussitôt le débat s'enflamme? La polygamie serait à éradiquer, comme un fléau, si l'on écoute certains politiques... [ayant été jusqu'à proposer] de faire de "la polygamie de fait" un délit pour les personnes naturalisées, puni de la déchéance de la nationalité ... La proposition fut abandonnée, on en fut quitte pour le ridicule.
Pourquoi donc cet acharnement contre la polygamie ? Parce qu'il n'y a plus aucune once de réflexion censée (sic) sur la place publique concernant ce sujet. Ce ne sont qu'amalgames et a priori, ressassements et attaques aveugles. C'est à qui s'indignera le plus vite et le plus fort. La polygamie serait la mère de tous les vices, et la monogamie le garant de l'ordre moral et le fondement de notre société ... C'est un fantasme qu'il est temps de dénoncer. » (**)

Il est surtout temps de cesser de prendre aussi naïvement pour des jaillissements d'intelligence une fertilité intellectuelle irresponsable se lâchant dans l'impunité totale. Il est trop facile de briller, confortablement attablés entre amis pratiquant le même exercice, à la terrasse d'un café germanopratain, ou face à un auditoire complaisant.

La classe politique

Pour des raisons assez comparables à celles attribuables aux religions – le pragmatisme attaché au seul temporel faisant en principe la différence –, les politiques refusent eux aussi majoritairement la remise en cause démographique, semblant ignorer son rapport avec les inégalités sociales, tant le concept est absent de leurs propos. Le sectarisme, voire l'anticléricalisme de la minorité d'entre eux qui s'en montreraient partisans – si le sujet faisait débat – suffirait d'ailleurs à les décrédibiliser, la moindre référence à la pyramide sociale semblant leur échapper.
Peut-il en être autrement, une telle prise de position allant à l'encontre de vérités solidement établies ? Ne serait-ce pas tout simplement militer pour la dénatalité de leurs électeurs ? L'attachement des élus à leurs mandats les renvoie à des suffrages dont la conquête comme la conservation reposent sur une démagogie respectueuse avant tout d'opinions majoritairement formées – avec le concours des media – par le pouvoir spirituel et l'intelligentsia régnante. Leur intérêt, soutenu par l'ordre des choses et réciproquement, prive la plupart d'entre eux, non seulement de la clairvoyance mais du courage nécessaire.

Les responsables de l'ordre et de la sécurité, tant policiers que militaires, étant l'exécutif permanent des politiques – et dans de nombreux cas du religieux –, leur attitude au sein de la pyramide sociale, en relation ou non avec la démographie, ne peut qu'en dépendre ; aussi ne sont-ils évoqués – sans entrer dans le détail – que pour souligner le poids dont leur pouvoir, pouvant aller jusqu'à l'oppression, pèse sur la société.

Les media

Aussi nombreux que les courants de pensée qu'ils sont censés représenter, luttant entre eux pour la conquête d'un lectorat ou d'un audimat, à la manière des politiques pour celle de leurs électeurs, la preuve nous est administrée quotidiennement que l'information qu'ils dispensent a davantage pour objectif de modeler l'opinion, au service de leurs maîtres financiers aussi bien qu'idéologues, que de l'éclairer. Leur pratique du vedettariat n'est pas sans rappeler le show-business, sans aller jusqu'à s'aventurer au-delà des idées reçues et d'un sensationnel dont ils peuvent assaisonner à moindre frais le quotidien de leur clientèle. Sans doute est-ce pour cela que la presse écrite comme la radio et la télévision font généralement preuve d'une indifférence rare à l'égard de la démographie et de sa relation avec la pyramide sociale, lorsqu'il leur arrive de concevoir la réalité de cette dernière. La meilleure illustration de cette attitude est l'intérêt aussi vite éteint qu'éveillé, qu'a suscité le fait démographique pourtant de première importance, qu'a été le franchissement du nombre des 7 milliards d'être humains peuplant la planète.

Internet peut paraître faire exception et donner l'impression de corriger les carences et compromissions des modes d'information traditionnels, précisément parce qu'avec toutes ses insuffisances et ses outrances, ce nouveau moyen de découverte et d'expression est accessible au plus grand nombre, mais deux observations conduisent à en douter :
La première porte sur la censure qui s'y exerce sous prétexte d'une modération qui, loin d’être inutile,  n’en conduit pas moins trop souvent,  au rejet pur et simple de ce qui n'est pas conforme à la ligne éditoriale des innombrables blogs, sites, forums et tribunes émanant aussi bien de media traditionnels que de l'initiative privée, toutes opinions confondues.
La seconde est que s'y multiplient des micro groupes qui viennent y débattre des questions les plus diverses, entre intervenants étant par avance d'accord entre eux. Chacun étant bien entendu persuadé de détenir la vérité à propos de ce qu'il connaît mal, voire pas du tout. Toute intervention contradictoire y étant impitoyablement refoulée, les discussions y prennent un tour plus affligeant de médiocrité que porteur d'un espoir de progrès des esprits qui en auraient le plus besoin. Comme si, là encore, la pyramide s'imposait, condamnant la pauvreté à occuper la partie la plus basse en même temps que la plus importante de son volume.

En résumé, en laissant sa place à l'exception ; en évitant l'amalgame ; en faisant la part de la philanthropie, de l'humanitaire, du caritatif, institutionnalisés ou non, collectifs comme individuels, dont les efforts méritoires soulignés par ailleurs sont condamnés à une insuffisance chronique par le nombre et parfois une compassion maladroite, une large partie de l'élite est quasiment muette sur le sujet qui nous intéresse. Il en est comme si elle n'était pas concernée ; comme si le concept de pyramide sociale lui échappait ; comme si elle vivait, volontairement ou non, consciemment ou non, coupée d’une réalité sociale fondamentale et a fortiori de son rapport avec la démographie. Couvant néanmoins jalousement et pesamment le reste de cette pyramide sociale, de sa base à sa partie médiane, elle ne partage ses angoisses ou ne s'en préoccupe, que par une observation où l'anthropologie le dispute à la compassion, ce qui ne fait que les aggraver.

S'il devait être appliqué aux détenteurs de la richesse intellectuelle et morale l'intransigeance avec laquelle est reprochée à ceux qui exercent les pouvoirs matériels leur cupidité et leur égoïsme, alors une partie de l'élite ne pourrait qu'être accusée de témoigner à l'égard de ces derniers d'une complicité pour le moins objective.

C'est cette partie de l'élite et sa complaisance à l'égard de ceux qui s'en prétendent abusivement les membres, qui pourraient ainsi être la première cause de la dislocation fatale de la pyramide sociale. Mais rappelons-le : à supposer qu'un tel résultat, auquel aspirent les révolutionnaires vrais ou faux, ne conduise pas au néant, il n'aurait pour effet que de donner naissance à une nouvelle pyramide sociale, avec toujours son sommet et sa base.

* - Cf. déclaration de Hari Boumedienne se flattant en 1974, à la tribune de l’ONU,  de ce que l'islam ferait la conquête de l'Europe et du monde par le ventre de ses femmes. Menace reprise depuis, en particulier par son défunt coreligionnaire, le Colonel Khadafi.

** - http://www.huffingtonpost.fr/catherine-ternaux/polygamie-amour_b_1373398.html

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