samedi 8 février 2014

Pyramide sociale et pyramides antiques

L'article qui suit est inspiré du blog : http://claudec-abominablepyramidesociale.blogspot.com



Faire de la pyramide une représentation schématique de la société, avec ses niveaux de plus en plus peuplés depuis son sommet vers sa base ; ses différences et superpositions entraînant autant de ces suprématies et infériorités – naturelles ou non – qui font si peur ; ses relations de dépendance et d’autorité, ses inégalités de richesse matérielle, de pouvoir, de savoir, d'intelligence …, relève pour certains de la pure intuition, quand ce n’est pas de l’invention, voire de la fantaisie. L’idée en est par eux purement et simplement rejetée, oubliant que sans ces sources de toute créativité que sont la curiosité, l’intuition et l’imagination nos connaissance seraient bien peu de chose. Et d’ailleurs, ceux qui contestent une telle représentation lui préférant, le rhomboïde ; qu’ils le nomment toupie, diabolo ou sablier – faits de cônes opposés par des bases ou des sommets non sans analogie avec celle et celui de la pyramide ; ou encore le cercle, la sphère, ainsi que les polyèdres les plus divers, omettent tout bonnement que ces figures et volumes se ramènent toutes, pour l’usage qu’ils en font, à la pyramide ou au triangle. En effet, au degré de précision près et abstraction faite des indices et autres paramètres qui en justifient plus ou moins le tarabiscotage, toutes ces représentations s’accordent au moins sur la distribution de populations ou de valeurs, selon une segmentation allant du plus rare, positionné en un sommet ou un centre, au plus nombreux, occupant une base, un pourtour, une face ou un segment de celui-ci.

L’économie d’un polémique peut donc être faite et la pyramide antique ainsi que son ésotérisme évoqués, au risque d’accroître le risque de rejet de la représentation pyramidale de la société, a fortiori dans sa relation avec la démographie. N’est-ce pas en effet ajouter l'occulte à l'extravagance, spécialement selon ceux qui ont pour habitude d’esquiver la remise en cause de leur propre vision de ce rapport, pour autant qu'ils l'admettent et s'en soucient ? En tout état de cause, est-il possible de faire sérieusement référence à la pyramide – quelle que soit la représentation à laquelle elle prétende – sans évoquer la part de mystère attachée à cette construction depuis la découverte et l'exploration des premières d'entre elles ? Voici en tout cas implicitement posées quelques questions subsidiaires.

Alors que l'esprit de leurs constructeurs n'était pas encore influencé par le progrès ni asphyxié par des savoirs tellement abondants et diversifiés que nul n'est plus en mesure d'en faire la synthèse ; quand nous en sommes réduits à constater qu'en dépit de tant de connaissances accumulées nous n'en savons pas davantage qu'eux à propos du jeu de la vie dont nous avons la vanité de nous croire les pions ; pourquoi se sont-ils aussi universellement attachés à ce volume plutôt qu'à un autre ? Au-delà de la simple continuation d'une pratique architecturale remontant à la préhistoire, telle que pouvant résulter de la simple édification d'une amas de terre et de pierres, ou de la construction d'une hutte de branchages revêtus de peaux ou de feuillages, quelles considérations ont-elles pu guider leur choix parmi les autres formes possibles dont témoignent tant de monuments ? Pour quelles raisons les témoignages de ce choix nous sont-ils parvenus aussi nombreux et d'endroits si divers ? Quelle relation immatérielle pourrait exister entre la vision qu'ont pu avoir de la pyramide nos lointains ancêtres, et une humanité dont la condition et l'organisation, demeurées inchangées pour l'essentiel depuis la nuit des temps, s'y inscrivent avec autant d'évidence ?

Autant de questions ne pouvant qu'encourager un supplément de réflexion prenant en compte quelques données appartenant tout simplement à l'histoire des hommes. Si les enseignements pouvant en être tirés paraissaient vains, qui niera les attraits du mystère? Et puis, quels sont les moyens restant à l'ignorant pour exercer sa curiosité, sinon cette imagination qu’il lui arrive de se voir reprochée ? Doit-il se priver de l’employer ; de s'y laisser aller ne serait-ce qu'un instant ; ou est-il condamné à subir la toute puissance de la science et de ses démonstrations, ou pour le moins celle de certains de ses représentants à qui il arrive aussi de se tromper ?

C'est en tout cas se référer à un fait connu que de rappeler qu'en de nombreux endroits du monde existent des tertres et des cairns plus ou moins érodés, vestiges de constructions résultant de l'empilement de terre et de pierres et dont l'intérieur est parfois aménagé. En France, et plus précisément en Bretagne, le grand tumulus de Carnac et une trentaine d'autres datant de 4500 ans environ avant notre ère indiquent que parmi les premières constructions monumentales à avoir été édifiées par Homo sapiens, figurent celles faites de ces empilements rudimentaires. Si certains y voient l'origine de toutes constructions de forme pyramidale, ils devrait savoir que des pyramides – qui ne sont pas seulement égyptiennes – sont antérieures aux tumulus les plus anciens que nous connaissons. Il paraît donc peu probable que la pyramide soit simplement une sorte de perfectionnement de ces amas coniques de matériaux et la question reste entière. Qu'elle ait été ou non d'abord naturellement conique, à la manière de n'importe quel tas de terre ou de cailloux, pourquoi la pyramide ? Sont-ce les limites des moyens techniques dont ils disposaient qui ont amené les constructeurs des premières d'entre elles à adopter une forme si caractéristique ? La tentation est grande d'opter pour cette hypothèse, mais les édificateurs des grandes pyramides, notamment d’Égypte, se sont montrés capables d'autres prouesses architecturales. Les spécialistes nous diraient peut-être s'il existe d'autres raisons, mais il est suffisant ici de retenir que la pyramide est apparue sous toutes les latitudes aux époques les plus reculées.

Leur notoriété renvoie d'abord aux égyptiennes, qui sont incontestablement les plus célèbres. Parmi celles dont l'existence est prouvée, bien que certaines n'aient pas encore été explorées, plusieurs dizaines ont été et sont toujours étudiées, alors qu'une centaine, restant à tirer de l’oubli, a été localisée entre les sources et le delta du Nil, aux confins de ces régions réputées être le berceau de l'humanité. Mais de nombreuses constructions pyramidales sont présentes ailleurs dans le monde. En Amérique centrale comme en Amérique du sud, du Mexique au Pérou, elles ont été découvertes avec le continent et les civilisations qui le peuplèrent avant son investissement par les Européens. D'autres encore ont été recensées : en Afrique, au Soudan ; en Europe, comme à Visoko en Bosnie. En Chine, il en existe de plus nombreuses, plus monumentales, plus riches et plus anciennes encore que celles d'Égypte, qui témoignent de la puissance et du raffinement de ceux qui les édifièrent. Aucun des continents où ont vécu les civilisations ayant participé de près ou de loin à l'avènement de l'actuelle société des hommes n'a échappé à ce qui constitue un véritable phénomène. Et de nos jours, l'architecture continue d'attester de son intérêt pour ce volume. Pourquoi cette forme pyramidale plutôt qu'une autre et que peuvent signifier une telle ancienneté, une telle universalité, un tel attachement ?

L'économie, nom pudiquement jeté comme un voile sur un ensemble de pratiques par ceux qu'elles enrichissent et qui ne fut le commerce qu’après avoir été le troc, a de tous temps ouvert les chemins d'une exploration qu'ont empruntés, autant pour la soutenir que pour en profiter, les soldats et les porteurs de la bonne parole, laïque comme religieuse. Les sciences humaines balbutiantes, qui participaient ainsi à la démarche, ont vite été débordées par un appétit matérialiste soutenu par les sciences dites exactes et cette révolution industrielle dont nous connaissons aujourd'hui le flamboiement, pour le meilleur et pour le pire. Cet appétit pouvant être précisément la cause d'un déficit d'humanisme, la perte définitive des repères élémentaires dont ont usés nos ancêtres ne peut-elle pas lui être imputée ? Il est en tout cas permis de s’interroger sur le fait que la sociologie, la démographie, l'économie, la politique …, mises ici en relation avec la pyramide sociale en tant qu’héritières de cet humanisme exercé à une époque où l'homme était un individu encore respecté par le nombre, s’exercent encore au nom de cet humanisme. La pyramide, qui symbolise l’organisation dont traitent ces disciplines – parfois sans paraître s’en rendre compte – ne fut-elle pas considérée comme telle en d’autres temps, au point qu'à travers elle et l'usage qu'en a si abondamment fait en tant d'endroits une lointaine antiquité, nous ait été délivré un message oublié depuis ou que nous serions devenus incapables de déchiffrer et de comprendre ? C'est l'un des objets des mathématiques, et de la géométrie en particulier, que de fractionner, disséquer, analyser, mettre en équations figures et volumes ; que de raisonner à leur sujet et en tirer des lois permettant d'avancer vers la compréhension en tout. Bien avant que les hommes aient connu les plus élémentaires de ces lois, et pour les découvrir, ils ont donc nécessairement vécu livrés à leurs seules facultés d'observation et à leur intuition, lesquelles les ont conduits à l'astronomie, à la géométrie, à la philosophie, etc. À quel moment de ce long parcours, et à quel titre, la pyramide a-t-elle retenu leur attention ? Et qui a été le premier à s'en préoccuper ?

Quoi qu'il en soit, livrée à la rigueur scientifique comme aux supputations les plus hasardeuses, la pyramide semble avoir été de tous temps l'objet d'une considération particulière. Est-ce seulement parce qu'elle a été l’une des premières constructions monumentales de l'homme ? Ceci suffit-il à expliquer cela ?

A supposer qu'un empilement de terre et de pierres ait pu être l'élémentaire façon de construire de tous les hommes, plutôt que d'imaginer que des civilisations aussi éloignées les unes des autres dans le temps que dans l'espace aient pu échanger leurs savoirs de bâtisseurs, est-il interdit de penser que ces derniers aient pu accorder à la pyramide, sans se connaître et encore moins se consulter, une signification qui a ensuite évolué, jusqu'à revêtir ces rôles allant du sépulcral au sacré que nous lui connaissons ? Son ésotérisme ne peut qu'en être avivé et donner lieu à l'échafaudage de théories les plus invraisemblables, mais la simple réflexion peut aussi conduire à une hypothèse plus pragmatique.
Sans ôter quoi que ce soit à son caractère universel et outre sa fonction de tombeau réservé aux grands, la pyramide ne peut-elle pas être considérée sans le mystère, voire la magie que lui prêtent certains ? La coïncidence entre sa forme même et des aspects fondamentaux de l'organisation dans bien des domaines, à commencer par ceux où règne une hiérarchie, naturelle ou non, ne suffit-elle pas à éveiller l'attention ? Est-il contestable que l'organisation humaine puisse être ramenée à la structure pyramidale, avec son apex et sa base ? Constat d'une simplicité qui décevra un grand nombre d'amateurs de mystère mais qui justement, par une évidence que la superstition et notre vanité ont pu nous faire négliger pendant que le temps y ajoutait la banalisation et l’oubli, pourrait avoir conduit d'anciennes civilisations disposant d'un sens de l'observation intact, à attribuer à la pyramide une signification en accord avec cette coïncidence de portée universelle, liée à notre condition d'êtres organisés depuis toujours  en sociétés pyramidales – parce que la nature le veut ainsi et que la nature humaine y ajoute – qu'il s'agisse de la famille, du clan, de la tribu, de la nation ou de quelqu'autre structure que ce soit, dès lors que s'y exercent un pouvoir et des relations de dépendance.

Hormis son caractère sacré, qui semble au demeurant ne pas avoir été le seul lui ayant été conféré, ni honoré de la même façon par les divers peuples en ayant édifié, la pyramide pourrait alors être simplement la représentation de ce concept fondamental, reconnu comme tel par des peuples n'ayant vécu ni aux mêmes endroits ni aux mêmes époques et n'ayant pu échanger d'informations, sauf hypothèse improbable d'une transmission par des voies et des moyens qu'il nous resterait à découvrir.

Si des civilisations précolombiennes ont usé de la pyramide comme outil de représentation de la société telle qu'elles la percevaient, il a pu en être de même à d'autres époques, en d'autres lieux et à des degrés divers, de la part d'autres peuples. La simple observation et le raisonnement des uns et des autres ont pu, de manière parfaitement plausible, les conduire à considérer que bien des phénomènes, à commencer par leur propre organisation, pouvaient être rapportés à la pyramide. Celle-ci aurait ainsi été, à des siècles de distance et au-delà des océans comme des montagnes, le symbole universel et universellement partagé de la condition humaine, par le seul effet d'une évidence qui aurait fini par nous échapper depuis. Entre temps, ce sens aurait pu lentement évoluer en conservant un caractère sacré, lié à cette idée de Vérité associée aux croyances successives de l'homme, depuis les divinités spécialisées, hiérarchisées et vivant chacune au sommet de leur propre structure (pyramidale elle aussi) jusqu'au monothéisme s'attaquant à une angoisse universelle, qu’il ne restait plus à ses prophètes qu’à codifier pour tenter de la rendre plus supportable.

La pyramide ne lève pas l'angoisse existentielle de l'homme, elle ne fait au contraire que l'accentuer, en représentant avec un réalisme implacable l'univers structuré et clos dont il est prisonnier, privé des promesses explicites de compensation dans l'au-delà, que sauront lui promettre les nouvelles religions. Pour aborder cet au-delà, les morts ayant le privilège de loger dans la la pyramide, après avoir siégé à son sommet de leur vivant, n'y étaient-ils pas préparés, par la momification s'opposant à la corruption de leur chair, comme en se munissant de ce qui serait nécessaire à leur subsistance dans leur dernier séjour ?
Des divinités peuvent avoir coexistées avec la pyramide et elle a pu être le lieu de cultes célébrés en leur nom ainsi que celui d'autres pratiques aussi bien religieuses que profanes, avant de devenir les témoins de secrets enfouis avec elles sous les sables. L'apparition puis l'expansion du monothéisme sont-elles pour quelque chose dans le déclin de la pyramide ? Laissons aux historiens le soin de nous renseigner, la réponse n'étant pas nécessaire ici. Mais les grandes religions, à travers le judaïsme pour ce qui est de l'occident, ne peuvent-elles pas s'interpréter comme des réactions envers une malédiction sociale dont la pyramide fut longtemps et partout la représentation dénonciatrice ? L'aggravation de l'angoisse qui pouvait en résulter pour l'homme ne pouvait aller sans susciter un besoin de reconnaissance, d'espoir et d'amour dont la Bible – refoulée par une Égypte dominée par la pyramide – portait les germes.

Des religions salvatrices, fondées sur la révélation et encouragée par une crédulité, des peurs et une superstition nées bien avant elles, n'auraient-elles pas pu ainsi se substituer à des croyances résultant d'une froide observation de la réalité, telle qu'y engage une vision pyramidale de toute organisation, y compris universelle ? L'homme, ébloui par sa foi telle que l'ont sublimée des religions somme toutes assez proches et dorénavant sur le chemin de l'unification, ainsi que des idéologies laïques visant elles aussi son bonheur, peut avoir de la sorte oublié d'anciennes croyances, issues non pas de la révélation mais de la simple observation ?

« Tu ne t'éteindras pas, tu ne finiras pas. Ton nom durera auprès des hommes. Ton nom viendra à être auprès des dieux. » Cette assurance de vie éternelle adressée à Pépi 1er (-2289/-2247) et gravée sur les parois de son appartement funéraire appartient à l'un des plus anciens recueils de textes de l'humanité. Il est probable que ces incantations, qui aidaient le souverain à renaître dans l'au-delà, furent récitées par les prêtres jusqu'à la Ve dynastie égyptienne. Cf. Wikipedia. Quelles autres incantations les prêtres récitaient-ils, sans que le rôle de tombeau fut encore nécessairement dévolu à la pyramide ? Quelle que soit la réponse à cette question, le texte gravé sur les parois de la chambre funéraire de Pépi 1er est du plus grand intérêt dans sa première phrase, laquelle peut s'adresser aussi bien à la pyramide qu'au défunt pharaon. La formule ne pourrait-elle pas être antérieure à la fonction funéraire de l'édifice ? D'éternel à universel il n'y qu'un pas que les anciens ont pu franchir, concernant le caractère de la pyramide, en partant des observations auxquelles ils avaient pu se livrer, expliquant leur choix architectural. Il n'est pas impossible qu'ils en aient tiré une conclusion. Une vision pyramidale applicable à toute organisation hiérarchisée, comme l'a toujours été par nature celle de toutes les espèces, a fort bien pu conduire les premiers penseurs à voir avec réalisme l'humanité condamnée à subir son sort sans espoir de rémission. Voici en tout cas, ce qui précède de peu et même coïncide avec l'avènement et le succès des grandes religions modernes, promettant a contrario, à tous, la vie éternelle, et la compensation de leurs peines, telles qu'endurées de leur vivant à l'intérieur d'une abominable pyramide sociale dont il n'est plus question.

Les clercs de l'époque ont-ils entendu et compris ce message au point de nous laisser par leurs pyramides, un avertissement que nous n'aurions pas perçu ou oublié ? Ou encore, que nous aurions dénaturé par nos peurs et un progrès matériel déshumanisant ?

Par les temps qui courent ; à une époque où les idéologies tendent à tout submerger et à priver l’individu de ce qui lui reste de sa curiosité et de son libre arbitre, est-il encore temps de se poser la question ? L’efficacité de la lutte contre la pauvreté par une réduction des inégalités sociales – dans la mesure du possible – est pourtant à ce prix. Lutter efficacement contre qui ou quoi que ce soit, nécessite d’abord de le connaître.

COMPTE À REBOURS (Alan Weisman - Flammarion Déc 2013) - À lire ABSOLUMENT.

Il est d'autant plus malaisé de tirer de ce tour du monde des misères de l'humanité et de celles qu'elle inflige à son environnement, autre chose que nostalgie et résignation, que les meilleures intentions pour y remédier sont souvent antagonistes. À défaut d'admettre « Qu'il n'y a pas un seul problème sur la Terre qui ne serait moins grave si nous étions moins nombreux. », « Chacun en effet a le souvenir d'un monde qui était meilleur. Moins peuplé. Plus agréable. Où l'on se sentait plus libre. »

Face au foisonnement de nos maux, reste à espérer que ce livre, par les « questions simples et de bon sens » qu'il pose en préambule :
- « Combien d'êtres humains notre planète peut-elle contenir ... ? »
- « Existe-t-il un moyen pacifique et moralement acceptable de convaincre les humains de toutes les cultures, religions, nationalités, tribus du monde, qu'il est de leur intérêt de faire moins d'enfants ? »
- « ... quelles espèces et quels processus écologiques sont essentiels à notre survie ? »
- « ... comment concevoir ... une économie capable de prospérer sans dépendre d'une croissance infinie ? »,
soit suffisamment lu pour accélérer la prise de conscience de ce qu'est la réalité de notre prolifération ainsi que la nature et l'urgence des mesures à mettre en œuvre pour l'enrayer et stabiliser la population mondiale à un niveau acceptable.

C'est aussi un hommage mérité à de nombreuses ONG, ainsi qu'aux communautés universitaires et scientifiques, qui ne doit pas faire oublier que ces dernières ne sont pas toutes d'accord, tant sur les bilans que sur les mesures à prendre telles qu'elles en découlent. Il n'en demeure pas moins que leurs travaux contrastent avec l'inertie des religions ainsi qu'avec l'absence de réactivité, – voire l'opposition – des politiques, faisant de ceux-ci comme de celles-là les vrais responsables de la situation dans laquelle s'est enfoncée l'humanité au cours des derniers siècles, par leur incapacité à accompagner le progrès.

Quoi qu'il en soit, si contrairement à ce que peuvent faire croire leur crédulité et leurs superstitions, leur condition n'est pas la première préoccupation des hommes, il est grand temps qu'ils réalisent que « La foi stupide ne peut que déplaire à Dieu. » (Jules Renard)

Tout les moyens respectueux de la morale étant bons pour parvenir à la dénatalité, ne faut-il pas craindre toutefois que le foisonnement des faits et leur relation dans un style journalistique atteignant les limites de la vulgarisation, puissent porter atteinte à l'efficacité de "COMPTE À REBOURS" ? À chacun de ceux qui partagent les préoccupations de Alan Weisman de faire en sorte qu'il n'en soit rien.

mardi 21 janvier 2014

Plaidoyer pour la dénatalité

Cet article a fait l'objet d'une publication sur le blog
sous le titre :


Humanisme contre matérialisme, pour vivre mieux moins nombreux.


« Il n’y a richesse, ni force que d’hommes ».
Lorsque Jean Bodin résumait ainsi sa pensée, nourrie des valeurs humanistes de la renaissance, se doutait-il que son aphorisme, non seulement connaîtrait la postérité, mais ...

lundi 26 août 2013

Essai de définition de la libre-pensée

La libre-pensée, attitude dont la Grèce est généralement considérée comme le berceau pour avoir, par un constant effort, essayé de substituer à l'image que les religions présentaient de l'univers un ensemble d'explications tirées de l'observation et de la raison, est avant tout curiosité et rejet de la doctrine et du dogme. Il est par conséquent non seulement permis mais recommandé de se demander ce que signifie ces derniers termes.


Selon la définition qui en est donnée par les dictionnaires, une doctrine est un ensemble de principes, d'énoncés, traduisant une certaine conception de l'univers, de l'existence humaine, de la société, etc. et s'accompagnant volontiers de la formulation de modèles de pensée, de règles de conduite. Le dogme est une proposition théorique ou une vérité révélée, établies comme indiscutables. Doctrine et dogme sont admis par leurs partisans, sans en vérifier les déductions logiques et s’érigent le plus souvent en systèmes. Une telle insuffisance de rigueur ne leur conférant que le statut de vérité relative, doctrine et dogme deviennent pourtant pour certains vérités absolues.


La doctrine peut encore être présentée comme une prise de position ponctuelle, nettement et publiquement définie, d'une école de pensée ou d'un individu sur un problème particulier, généralement délicat et sujet à controverse ; ensemble d'opinions bien arrêtées. Le doctrinaire, à la différence du libre-penseur, thésaurise, interprète les thèses d'autrui, proches de ou opposées à la sienne, et peut ainsi faire sienne, aux différences près qu'il y introduit, la doctrine d'autrui. A contrario, l'aptitude et la volonté de conception exempte de préalables autres que ceux pouvant naître de l’observation personnelle des faits, de témoignages et du raisonnement, sont inséparables de la libre-pensée; autant que la certitude y est étrangère. Une telle attitude, exempte de toute obligation d’originalité et sans entraîner le rejet systématique des idées existantes, fait obligation de n’accepter ces dernières qu’après les avoir comprises et critiquées.


Ensembles clos de connaissances déduites de la théorie ou de la pratique, doctrine et dogme véhiculent un ensemble d'opinions dont rien n’exige qu’elles procèdent d’idées originales. La doctrine étayant souvent le dogme et ce dernier la légitimant en quelque sorte à son tour, cette relation explique comment, à partir des idées les plus utopiques et même farfelues, peuvent s’établir des théories fondant les plus solides convictions et certitudes.


Il y a lieu d’être attentif à ne pas confondre liberté de pensée et liberté d’opinion. Une opinion peut résulter du fait de penser (se forger une opinion) mais peut aussi être admise telle qu’elle existe en tant que résultat de la pensée d’autrui, ce qui est notamment le cas d’une opinion partisane, d’une doctrine, d’un dogme. Une pensée, comme une opinion, peut être vraie ou fausse, mais à la différence d’une opinion née de la libre-pensée, donc du raisonnement et de ce fait toujours sujette à remise en cause, une opinion acquise, surtout si elle est doctrinaire, ne peut être contestée. Sauf à réviser la doctrine ou le dogme auxquels elle se rattache, raison pour laquelle les partis, les religions, les sectes, etc. condamnent la libre-pensée.
Pour le libre penseur :
1° il ne fait sienne l'opinion d'autrui, d'où qu'elle provienne, qu'après l'avoir dûment critiquée.
2° il n'a d'opinion définitive sur rien, avec le risque que ce soit pris, bien à tort, pour du nihilisme.


Le nihilisme est une doctrine selon laquelle rien n'existe au sens absolu ; la négation de toute réalité substantielle et de toute croyance (cf. TLF - Trésor de la langue française). Penser librement, c'est au contraire considérer avec neutralité les divers aspects d'une question, dans sa réalité objective, pour en tirer par le raisonnement une opinion. Par exemple, pour le libre-penseur, la vie est une réalité qui n'est le plus souvent ni bonne – la vie est belle –, ni mauvaise – la vie ne vaut pas la peine d'être vécue – ; elle est, tout simplement ; l’homme ayant le pouvoir, par la raison ou la déraison, de la faire ce qu'elle est.


Plus ou moins libre, la pensée vit, s'interroge, se transforme, évolue, avance. L'opinion est arrêtée sur des convictions, dont la doctrine et le dogme font des certitudes.


Contrairement à une conception étriquée mais néanmoins assez répandue, la libre-pensée ne se réduit pas à l'athéisme et encore moins à l'anticléricalisme. Elle est volonté de s'assumer et  d'appliquer son raisonnement à la recherche sincère de la vérité en tout. Elle s'exerce donc dans des domaines aussi délicats que la spiritualité ou la santé. Être libre-penseur, dans ces derniers cas, c'est user dans toute la mesure du possible de son raisonnement pour chercher à apprécier l'efficacité de la religion ou de la médecine face aux défaillances spirituelles ou organiques de l'être vivant. Il ne s’agit nullement de contester les bienfaits des religions ou de la science (pas davantage que leurs méfaits d’ailleurs), mais de conserver en toutes circonstances sa propre faculté de jugement, avec la conscience des risques qu’une telle attitude peut faire courir.


Une pensée ambitionnant d’être libre se fonde autant sur la réflexion personnelle, le bon sens et l’expérience que sur quelqu'autres connaissances que ce soit. La quête de vérité à laquelle se livre le libre-penseur est affaire de curiosité plutôt que d'un savoir et d'un savoir-apprendre codifiés. Rien n'est plus étranger par exemple à la libre-pensée, que l’encouragement à minimiser la part d’effort personnel à produire pour acquérir de nouvelles connaissances, qu'encouragent des structures d'enseignement atrophiées et technocratiques proposant des programmes standardisés via des maîtres formatés, ayant pour conception de leur rôle la seule transmission de ce qu'ils ont appris. Et les média ne sont pas en reste – a fortiori lorsqu’ils font appel à l'image –, le tout au détriment de ce que nous n’aurions pourtant qu’à observer en nous-mêmes et autour de nous.


Il ne doit pas être déduit de ce qui précède que la libre-pensée sous-estime l'académique. Le libre-penseur lui reconnaît son utilité dans la gestion de connaissances accumulées, ainsi que dans leur diffusion la plus large, même si la somme des savoirs dépasse dorénavant la capacité d’assimilation et de synthèse de la plupart d'entre nous. C'est dans ces conditions que le libre-penseur s'efforce de trouver, d'abord en lui-même et par sa propre réflexion, les moyens d’y parvenir, sans négliger pour autant l’apport de ceux qui l’ont précédé.


La libre-pensée est accessible à l’ignorant. Elle lui est même ouverte davantage qu’à quiconque, eu égard au conditionnement que constitue tout savoir. Généraliste, la libre-pensée est en elle-même, source de savoir, à condition toutefois que celui qui entend la pratiquer soit suffisamment curieux, indépendant et motivé pour ne pas en rester à son seul univers et qu’il s’avère inlassablement prêt à remettre en cause les enseignements qu'il tire de ce qui l'entoure. Non pas que la libre-pensée passe par un universalisme ayant démontré ses limites, mais simplement parce que plusieurs vérités valent mieux qu’une et qu’elles sont toutes utiles, par définition, à qui est sincèrement en quête de synthèse et de vérité.


L’apprenti libre-penseur doit aussi se garder d’en rester au sommaire. Il en est de la libre-pensée comme de la connaissance: il y a ceux qui savent tout au sujet de rien et ceux qui ne savent rien au sujet de tout. Il existe un immense espace intermédiaire dans lequel peut trouver son bonheur qui veut s’efforcer de comprendre l’essentiel. Cela ne va pas sans risques, dont le premier est de se tromper, mais le libre-penseur l'accepte. Citations, aphorismes, pensées et maximes émanant d’auteurs les plus divers faisant autorité pourront parfois simplifier la tâche du libre-penseur, à condition toutefois d’y avoir recours comme à une insuffisance acceptée et parfois voulue. Chaque extrait sera alors considéré comme tel et non comme le résumé d’une pensée – fut-elle l’expression d’une doctrine ou d’un dogme – ; comme un simple éclairage parmi d’autres, du sujet concerné.


Nos difficultés de compréhension de la pensée d’autrui et notre niveau d’instruction peuvent conduire à ne pas saisir le sens exact des termes d’un discours, écrit comme parlé. Ne pas se décourager et persister alors pour réaliser sa propre interprétation. C’est à partir de ce qu’il pensera par lui-même que le libre-penseur parviendra à l'appropriation de ce qu’il souhaite pénétrer. S'il est dans l'erreur, sa curiosité le conduira tôt ou tard à s’en rendre compte et à reconsidérer ce qui aura lieu de l’être. Bien entendu, des déviations, des malentendus, des approximations, peuvent résulter d’un tel exercice, mais n’est-ce pas là, justement, une manière de pratiquer une authentique libre-pensée ? Quoi qu’il en soit, le libre-penseur cultivé ou non, est assuré d’être contesté par tous ceux qui ont leurs certitudes et à défaut celles des autres. Il le sera en tout état de cause par les dogmatiques et les doctrinaux. Rien n’est en effet pire pour ceux-ci que l’outrecuidance que celui qui cherche par lui-même et se montre capable de sa propre remise en cause. C’est l’individualiste maudit, autant par ceux qui se satisfont des idées toutes faites – qu’il met en accusation – que par ceux qui les leur concoctent et qu’il ose ainsi défier.


Réactive par nature, et un temps réduite – comme déjà souligné – à l’anticléricalisme, la libre-pensée a élargi son champ d’application et tend dorénavant à l’anti-dogmatisme, en réaction aux idéologies et aux credo en lesquels elles se sont trop souvent stratifiées. Ceci explique que dans un univers se flattant de la plus grande ouverture aux idées nouvelles, la libre-pensée ait du mal à exister. Nombreux sont ceux qui, sans même s’en rendre compte et souvent persuadés de faire au contraire preuve de liberté, rallient un système de pensée préfabriqué. La vérité, quête de la libre-pensée, exige une rigueur souvent ignorée de tous ceux qui prennent leurs opinions pour des vérités, du seul fait qu'elles soient partagées par d'autres. Il en est comme de l’imagination qui, atrophiée, alourdie par une pléthore d’idées incontrôlables, est de moins en moins capable d’élaborer, de produire librement. C'est la source de l’idéologiquement correct, conduisant aux affligeants mais plus répandus encore politiquement et scientifiquement corrects. C'est en particulier la rançon payée aux nouveaux moyens d'information et d'échange qu'offre en abondance Internet, où les certitudes des uns et des autres sont propagées et renforcées proportionnellement au nombre de ceux qui ne font que les partager sans les critiquer ni les remettre en cause.


En résumé, dans l'enchaînement qui va de la pensée à l'action, la libre-pensée se fonde sur la conscience, la sincérité et la responsabilité incombant à ceux qui, par les opinions qu'ils contribuent à faire naître et à répandre, dictent leurs actes à ceux qui les écoutent et les croient.


Le recherche sincère de la vérité étant l'objet même de la libre-pensée Il y a lieu d'insister sur le caractère sincère de cette recherche. Il ne peut en effet y avoir libre-pensée sans sincérité. L'une et l'autre sont trop proches parentes de la conscience, cette voix qui habite chacun d'entre nous et qui le fait s'interroger à propos de tout, qu'il le veuille ou non, et aussi loin qu'il aille se dissimuler pour vainement tenter d'y échapper. Et c'est bien dans la mesure où nous sommes impuissants à libérer notre conscience, qu'il nous est interdit de penser librement. De la même manière, les moteurs de l'humanité que sont l'argent, le pouvoir et le sexe, sont à compter au nombre des plus grands obstacles à la libre-pensée. La soumission à l'un ou l'autre conditionne notre raison et nous prive – ou pour le moins altère – notre libre arbitre ; nous en faisons l'expérience à tous les moments de notre existence. Il n'est pas question ici de la conscience telle que la présentent vaniteusement les religions : voix intérieure dictant sa conduite au croyant, au nom d'un Dieu qui se préoccuperait de lui imposer sa morale, mais plus simplement de ce que notre raison nous conduit à déduire de ce que nos sens perçoivent de ce qui nous entoure. Bien entendu les déistes répondront que cette action de nos sens, comme de notre raison, résulte précisément d'un rôle leur étant attribué par Dieu. Mais c'est là régresser au stade d'une opposition entre une vision laïque et religieuse aussi prisonnières l'une que l'autre de leurs certitudes dogmatiques.



Donnons pour conclure la parole à  Schopenhauer :

« Ce qu’on qualifie d’opinion commune est, à bien l’examiner, l’opinion de deux ou trois personnes; et c’est de quoi nous pourrions nous convaincre si nous pouvions seulement observer la manière dont naît une pareille opinion commune. Nous découvririons alors que deux ou trois personnes qui ont commencé à l’admettre ou à l’affirmer, et auxquelles on a fait la politesse de croire qu’ils l’avaient examinée à fond; préjugeant de la compétence de ceux-ci, se sont mis à leur tour à croire ces premiers, car leur paresse intellectuelle les poussait à croire de prime abord, plutôt que de commencer par se donner la peine d’un examen. C’est ainsi que de jour en jour, le nombre de tels partisans paresseux et crédules d’une opinion s’est accru; car une fois que l’opinion avait derrière elle un bon nombre de voix, les générations suivantes ont supposé qu’elle n’avait pu les acquérir que par la justesse de ses arguments. Les derniers douteurs ont désormais été contraints de ne pas mettre en doute ce qui était généralement admis, sous peine de passer pour des esprits inquiets, en révolte contre les opinions universellement admises, et des impertinents qui se croyaient plus malins que tout le monde. Dès lors l’approbation devenait un devoir. Désormais, le petit nombre de ceux qui sont doués de sens critique sont forcés de se taire; et ceux qui ont droit à la parole sont ceux qui, totalement incapables de se former des opinions propres et un jugement propre, ne sont que l’écho des opinions d’autrui : ils n’en sont que plus ardents et intolérants à les défendre. Car ce qu’ils détestent chez celui qui pense autrement, ce n’est pas tant l’opinion différente qu’il affirme, mais l’outrecuidance de vouloir juger par lui-même; ce qu’eux ne risquent jamais, et ils le savent mais sans l’avouer. Bref: rares sont ceux qui peuvent penser, mais tous veulent avoir des opinions et que leur reste-t-il que de les emprunter toutes cuites à autrui, au lieu de se les former eux-mêmes ? Puisqu’il en est ainsi, quelle importance faut-il encore attacher à la voix de cent millions d’hommes ? Autant que, par exemple, à un fait de l’histoire que l’on découvre chez cent historiens, au moment où l’on prouve qu’ils se sont tous copiés les uns les autres, raison pour laquelle, en dernière analyse, tout remonte au dire d’un seul témoin. ».

jeudi 15 août 2013

Âme collective

L'âme n'est-elle pas la trace que chacun laisse de son passage ici-bas ? Dans la mesure où chaque constituante de la vie, de la plus infime à la plus importante, imprègne l'univers ?

De la molécule à l'être le plus élaboré – lequel n'est au demeurant rien d'autre qu'un assemblage de molécules –, chacun laisse, de manière indélébile, sa marque dans l'univers. En ce sens, l'existence est d'ailleurs davantage qu'un passage. C'est en ce sens aussi que rien ne se perd. Toute manifestation de la vie est impérissable, dans la mesure où tout s'élabore et se transforme inlassablement, quelle que soit l'ampleur de cette élaboration. Tout acte et toute pensée, des plus insignifiants aux plus spectaculaires contribuent à l'accomplissement du tout.

Ceci est à rapprocher de la métempsycose ; de la croyance en la réincarnation des êtres, mais hors de tout ésotérisme. Chaque trace du passage de toute chose n'est-elle pas intégrée à la vie? Le nid de l'oiseau n'est-il pas fait des fibres arrachées à la toison du mouton et l'herbe que mange celui-ci ne s'est-elle pas nourrie des déchets organiques laissés par l'oiseau ? Notre pensée n'est-elle pas formée de celle de nos prédécesseurs ou inspirée de ce qui nous environne, cet environnement étant lui-même la manifestation d'un tout, résultant de l'accumulation d'une infinité d'actes et de pensées ?

C'est en cela que l'âme est impérissable. Rien ne se perd, y compris les plus infimes manifestations de l'existence, matérielles comme immatérielles.

L'âme collective n'est-elle pas plus plausible que l'âme individuelle, pur produit d'une vanité autorisant l'homme à dépasser les effets de la corruption de son corps. Notre dépouille ne livre-t-elle pas à un courant ininterrompu qui nourrit la vie, toutes les molécules dont elle est constituée, sans exception, sous forme solide, liquide ou gazeuse ?

Chacun d'entre nous vit ainsi en tous les autres, comme tous les autres vivent en chacun d'entre nous. Que nous le voulions ou non et de manière plus ou moins consciente, chacun d'entre nous partage le sort d'autrui, fait de bonheur et le malheur. Nous formons à nous tous comme un corps à la complexité croissant de manière exponentielle avec notre nombre, dont nous serions chacun comme une sorte de cellule, de composante elle-même complexe et simple à la fois. Complexe parce que dotée de conditions d'existence propres, et simple parce que sans signification dès lors qu'elle est détachée de son ensemble. Quoi de plus complexe en effet que chacun d'entre nous, vivant, dans son corps comme dans son esprit, et quoi de plus simple, que ce même individu lorsqu'il est mort, c'est à dire ramené à ses dimensions les plus élémentaires de composants organiques ?

Aucun des occidentaux profitant d'une prospérité mal partagée, n'est davantage étranger au plus obscur des fellahs de la vallée du Nil ou du Gange, qu'il ne l'est du plus riche des hôtes de l'univers. Nous portons tous la souffrance et le bonheur de vivre de tous. Plus exactement, il n'est ni bonheur ni malheur, il n'est qu'une existence neutre et incolore que nous traversons chacun à notre manière pour composer un tout, pendant un temps dont la durée est définie par nos sens, tant qu'ils sont actifs.

Ceci n'exclut en aucune manière, bien au contraire, que nous ayons à participer à l'existence collective en y apportant ce dont la nature nous a doté.

Il n'est pas d'instant, pour un être doué de raison, où il puisse ne pas éprouver le sentiment d'être un autre. Toute son activité intellectuelle en témoigne. Il s'identifie spontanément et immédiatement à la plupart de ceux dont il connaît l'existence, les aventures, la mort, à travers le spectacle de la vie et les représentations qu'ils s'en donne par la lecture, l'image ou simplement l'imagination. Et sa proximité physique ou spirituelle, par rapport aux êtres ou aux événements en cause, ne fait qu'augmenter l'émotion qu'il peut en éprouver.

En dépit des apparences, chaque entité peuplant l'univers n'est-elle pas l'expression immatérielle d'un tout, lui-même aussi immatériel que le reste? Chacune de ces entités n'est pas davantage – comme la moindre des pensées – qu'un souffle imperceptible dans le vaste univers, c'est-à-dire infiniment moins encore qu'une goutte d'eau dans l'océan.

Chacun est ici-bas, à sa manière, la conscience des autres. Et le pire des sorts est d'être la conscience de ceux qui vivent comme s'il n'en avait pas ; ce qui s'appelle porter le malheur du monde.

L’âme et l’esprit ne se confondent-ils pas ? Et dans l’affirmative, quels progrès l’une et l’autre ont-ils accomplis depuis l’origine des temps ?

Si l’âme collective existe, sa combinatoire résulte du nombre et de la complexité de tous ceux qui participent et ont participé à sa élaboration. C’est en cela aussi que l’âme est impérissable. Rien ne se perd, y compris les plus infimes manifestations de l’existence, matérielles comme immatérielles. C’est la suprême chaîne alimentaire du corps et de l'esprit.

Dans l'un de ses nombreux ouvrages, Roger Caratini – mon maître sans qu’il se soit probablement jamais douté à quel point –, pose la question de savoir comment l’être insignifiant qu’est l’homme est parvenu à son niveau de connaissance. Que sa mémoire me permette de penser que ce ne soit pas la bonne question. La bonne question n'est-elle pas : "pourquoi" ?

“Comment” fait appel à l’intelligence ; à une construction déjà organisée, résultant d’une somme de questions et de réponses ; de raisonnements ayant conduit à des connaissances, ou à la "Connaissance", pour ce qu’elle est. “Pourquoi”, s'accorde avec l’esprit ; ce qui précède l’intelligence, ce qui l’autorise en quelque sorte.

N'y a-t-il pas filiation entre intelligence et connaissance ? Celle-ci ne serait rien sans celle-là. La connaissance ne peut que faire suite à l’intelligence, elle-même mère du raisonnement qui, comme son nom l’indique, est le produit de la raison donc de l’esprit.

Que l’intelligence soit fille de l’esprit nous ramène à l’âme, antériorité première et supérieure, au sein de l'univers ; fruit d'une spiritualité ayant fait des hommes les enfants d'eux-mêmes.

dimanche 21 avril 2013

Du bien et du mal


« Les fortes émotions naissent de situations fortes : voilà pourquoi, dans les arts, la représentation du bonheur ennuie à la longue, voilà pourquoi on lui préfère la fatigue qu'excite le spectacle d'une grande infortune. » Antoine-Vincent Arnault
« L’homme est plus sensible au mal qu’au bien parce que le bien ne fait pas de bruit et n’est pas spectaculaire. » Jean Delumeau
« Le monde n'a peut-être été créé que pour réaliser le mal. Si, au lieu de contrarier le mouvement, nous le suivions, on obtiendrait un bon résultat. » Jules Renard
« Le mal, d'abord, apparaît toujours en Lucifer, pour ensuite se métamorphoser en Diabolus, et finir en Satanas. » Ersnt Jünger
« Dieu est beaucoup plus impie qu'il n'est saint, puisque le nombre des crimes qu'il opère, surpasse sans comparaison celui des bonnes œuvres qu'il produit. » Le jansénisme dévoilé.


Le bien et le mal sont des inventions de l’homme, en cela qu'il s'agit de notions découlant de la vie en société organisée telle qu'il y a été conduit par la conscience qu'il a de lui-même. Mais les autres espèces démontrent que ces notions ne leur sont pas inconnues, par leur comportement et leurs réactions lorsque tel ou tel de leurs membres enfreint leurs règles de vie, aussi primitives soient-elles.


Outre le fait que tout finit par se corrompre, le naturel serait-il à l'artificiel, l'inné serait-il à l'acquis, ce que le bien est au mal ?


Le bien étant entendu comme ce qui concourt à la paix et à l’épanouissement harmonieux de l’individu et du groupe, le mal est ce qui les contrarie. Selon l’universelle dialectique, l’un se définit par l’autre, s’y oppose et n’existe que par cette opposition. Comme Dieu et le Diable, le Bien et le Mal sont antagonistes. Pour vivre dans un minimum de tolérance et de paix, l ’homme en a fait ses références au point qu’ils occupent cet univers à la manière dont un gaz ou un liquide occupent les moindres replis et recoins de leur contenant et que l'homme va jusqu'à s’y identifier, capable d'être et de faire autant l'un que l’autre.


Inséparables l’une de l’autre, les notions de bien et de mal sont étroitement liées aux religions, dont elles ont été le fondement et demeurent la justification. Pour qui spécule sur l’âme et l’éternité, le mal est le sens même de la vie ici-bas, qui s’y accomplit comme une pénitence, depuis la naissance jusqu’à la mort, même si cette naissance est paradoxalement un bien, en ce sens qu’elle est le début de toute chose, avec sa charge d’espérance et de promesses de futurs pleins de félicités, tenues ou non. A l’opposé, l’aboutissement de toute vie qu’est la mort, ce basculement dans l’au-delà, est néant pour les uns, alors qu’il est pour d'autres l'instant où seront dispensées les suprêmes récompenses et punitions tenant compte du comportement de chacun face au bien et au mal ; instant de Vérité pour tous.


En attendant cette échéance à laquelle nul n'échapperait, où toutes les curiosités seraient satisfaites, le bien comme le mal doivent être considérés comme des notions d’ordre temporel, terrestre, en cela qu’elles régissent la vie quotidienne et les rapports que les individus entretiennent, de leur vivant, entre eux et avec leur environnement, selon les règles qu’ils se sont en grande partie eux-mêmes fixées. N’est-il pas dès lors légitime d’observer et de chercher à comprendre la rapport existant  objectivement entre ce bien et ce mal ?


De ce point de vue, l’une des questions se posant en premier lieu peut être de savoir s’il existe une prédominance de l’un sur l’autre. Le mal se nourrirait autant du bien que de lui-même, mais ne produirait que le mal selon certains. Aussi désabusée et réductrice qu'elle soit, cette affirmation suggère au moins une question : Le bien ne produit-il que du bien, alors qu'il lui arrive de se nourrir du mal et que c'est précisément la vocation de celui-ci de l'en empêcher, comme le démontrent les meilleures intentions lorsque déviées et perverties, elles aboutissent à leur contraire, alors que le mal sait si bien prospérer envers et contre tout.


Si le mal est comme le prolongement naturel de lui-même ; s’il est son propre support, à la manière d’un arbre vigoureux aux rejets toujours plus abondants et vivaces, ou comme un cancer aux proliférations aussi spontanées qu’incontrôlables, il est loin d’en être de même pour le bien, si souvent comparé au contraire à cette braise couvant sous la cendre et qu'un souffle doit sans cesse attiser pour qu'en jaillisse une flamme au demeurant d'ardeur variable. Contrairement au mal, le bien ne s'instaure ou ne s'installe pas spontanément, sinon pour céder en fin de compte au mal, à la manière de tout élément dont la disparition est programmée dans la corruption et la déliquescence. Quand le bien par contre, cherche à se développer, à se faire entendre, il se heurte aussitôt à la concurrence d'un mal omniprésent. Il en est comme s'il y avait déperdition, usure du bien ; réduction de son domaine sous l'effet de la progression ou de la simple résistance du mal. Les deux tendances se partageant l'espace dans lequel elles se manifestent, chacune essaie d’y agrandir son domaine au détriment de l'autre. Or, non seulement le mal triomphe à ce jeu mais il le fait avec un succès chaque jour plus affirmé, à en juger par les maux d'une humanité vieillissante, allant s'amplifiant et se multipliant. Le mal touchant tout et tous. Il faut de plus compter avec l'accoutumance, la fatigue et les erreurs de ceux qui le combattent ou le subissent, comme avec la perversion de ceux qui le pratiquent et l’encouragent.


Peut-être par réaction contre les assauts de ceux qui prétendent lutter contre lui, le mal est-il animé non seulement d'une résistance mais d'une dynamique qui assure son succès final, à la manière d’un virus apprenant à résister aux remèdes les plus efficaces. Il y a indéniable progression du mal ; il est porteur de son propre développement. Même lorsque le bien semble triompher, ce triomphe est toujours de durée limitée alors que le mal s’installe à la manière d’un chancre dont les traitements les plus énergiques ne peuvent venir à bout. L'éradication absolue et définitive du mal est inconnue et semble impossible, comme en témoigne l'histoire des hommes. Et lorsque ses effets sont combattus avec un semblant de succès dans un domaine, il réapparaît dans un autre et dans tous les cas ne s'efface jamais complètement. Il en est comme d'une eau pure qu'une seule goutte d'encre suffit à troubler, alors que toute l'eau du monde ne pourra jamais parvenir à s'exonérer de la trace d'une seule goutte d'encre. Ou de l’obscurité, qui a le pouvoir de recouvrir uniformément toute chose, alors que la lumière la plus éclatante ne peut par contre s’affranchir des zones d’ombre qu'elle génère elle-même. Il ne peut y avoir de lumière sans ombres comme il y a obscurité totale. Autre analogie : La mort, si elle incarne le mal, finit par recouvrir toute chose (définitivement pour qui n’a pas la foi), alors que la vie a pour premières caractéristiques sa fragilité et son caractère et éphémère.


Propos pessimiste s'il en est, mais résultant de la simple observation et non de l'intuition ; des faits que de l’hypothèse. Est-ce faire preuve de l’esprit du mal ou du bien que de raisonner sur de telles bases pour tenter d'évaluer les chances qu'a l'humanité de connaître un jour le bonheur qu'elle ne cesse de se promettre à elle-même par éradication du mal qui la ronge ? Le constat d'agissements sans cesse contraires à de telles intentions relève en tout cas de la plus élémentaire lucidité, dont il est difficile de démêler si elle relève du bien ou du mal.


À défaut d'une bien hypothétique victoire du bien sur le mal, si ce dernier existe pour que le bien en soit la réciprocité – ou inversement –, l'espérance d'un compromis fondé sur un équilibre tel qu'il pourrait ou devrait en résulter est-elle fondée ? Mis à part les bienfaits de progrès techniques et scientifiques indéniables, même s'ils se limitent à procurer un confort matériel abusivement vanté comme le bonheur – qui est au malheur ce que le bien est au mal –, il suffit de considérer l’histoire et la satisfaction des hommes quant à leur sort pour en déduire qu'ils semblent y avoir renoncé, en échange d'une illusion. Demeure pourtant, pour nombre d'entre eux, l'espoir en cette braise cachée sous la cendre, apparemment peu soucieux que l'accumulation de celle-ci puisse conduire à son extinction définitive par asphyxie.


L’homme, agissant envers lui-même à contre sens des lois dictées par la nature pour protéger les espèces, s’affaiblit de génération en génération et paie ainsi spirituellement tous les progrès qu’il réalise sur un plan matériel, au point qu'il soit permis de se demander si ce matériel n'est pas une manifestation du mal, à l'opposé du bien – Là encore le spirituel pouvant sembler être au matériel ce que le bien est au mal. La population des êtres humains s’accroît, grâce notamment aux progrès de la médecine, au détriment de la résistance de chacun de ses membres, et la santé de l’espèce à long terme en est largement compromise. Et il en est de même des espèces domestiquées, proportionnellement au temps depuis lequel elles l'ont été.

Quand les mécanismes qui en règlent naturellement l'existence ne jouent plus, les espèces qui sont demeurées les plus proches de la nature ne tardent pas à se réduire et sont condamnées à la disparition pure et simple. Par les qualités qu’ils démontrent et qui justifient leur domination sur le groupe, ce sont leurs membres dominants qui garantissent à celui-ci son maintien en bonne santé et le niveau de pérennité qui peut en résulter. L’homme, au contraire, investit une part importante de son énergie et de ses ressources dans la protection des membres les plus faibles de son groupe et cette importance va croissant ; chaque individu faible étant naturellement générateur d’autres individus faibles qui accroissent d’autant la charge des forts, dont le nombre décroît proportionnellement et décroîtra jusqu’à ce qu'ils soient eux-mêmes affaiblis par un effort dépassant leurs facultés. Exemple phare de la manière dont le mal submerge le bien : c’est au nom de la compassion, de la pitié, de la solidarité, de la générosité, de la charité, etc. – autant de sentiments réputés louables et associés au bien – que s’exerce cette résistance à la loi naturelle, alors que pour survivre et prospérer l'humanité doit se limiter en nombre, sauf à ce que l’homme soit prédateur de lui-même.

lundi 25 février 2013

De la confession à l'oubli

« L'abjuration des erreurs est facile ; ce qui l'est moins, c'est leur réparation effective. Heureusement, l'église a le privilège de digérer le bien mal acquis, et en rentrant dans le giron de cette bonne mère, je garderai le mien. » Talleyrand

Les religions et en particulier la religion chrétienne portent la responsabilité de l'état de culpabilité dans lequel vit l'humanité.

Il n'y a pas loin de l'absolution à l'amnistie et la rémission des péchés conduit naturellement à celle des fautes puis à la dilution des culpabilités, d'où la disparition progressive du sens des responsabilités et du devoir. L'oubli, l'ingratitude et la roublardise de celui qui a bénéficié de l'absolution ont tôt fait d'ériger en droits les abus pour lesquels le pardon lui a été accordé. Rien ne s'oppose plus alors à ce qu'il en commette de nouveaux, avec de moins en moins de retenue.

C'est l'état de droit sans devoirs, sans contrepartie autre que de façade.

Confession, contrition, repentance, absolution, amnistie ; cheminement que l'homme a tracé à ses fautes pour les faire tomber dans l'oubli et s'accorder ainsi à lui-même le pardon purificateur. Il a négligé que ce faisant, s'il soignait son ego, il y perdait du même ses chances de vivre en bonne intelligence avec ses semblables. Naufrage de la conscience collective dans l'océan tempêtueux des particularismes.

L'homme s'est-il inventé des Dieux par peur de l'inconnu, ou plus simplement par peur de ce qu'il pouvait lui arriver de connaître de pire, c'est à dire lui-même ? Toujours est-il qu'en retour, ses Dieux lui ont dispensé, à travers leurs églises et leurs ministres, la confession d'abord et l'absolution ensuite.
L'homme était ainsi libéré de lui même. Il avait trouvé le meilleur moyen d'absoudre ses pires agissements : passés, présents et à venir.
Qu'il ait ensuite catégorisé, classifié, ses fautes ; inventé un niveau collectif de confession et la repentance, ne change rien à l'affaire.

Comme tout pouvoir, l'église a dû et doit encore diriger ses sujets. Sans tomber dans un anticléricalisme primaire, qu'il soit permis de constater qu'elle le fait en grande partie grâce à l'un de ses sacrements : celui de confession, suivi de l'absolution. Ses fondateurs et plus encore leurs continuateurs ont agi à ce propos avec une habileté qui n'a d'égal que leur ruse : sinon Inventer le péché du moins le désigner, pour se donner le pouvoir de l'absoudre. Mais combien de fidèles le sont désormais parce qu'ils savent trouver dans leur religion le pardon de leurs fautes.Il est peu d’individus qui après leur mort ne soient parés de tant de qualités qu’elles en font oublier leurs défauts pourtant parfois plus nombreux et plus grands encore. Que ces qualités aient été réelles ou non, l’oubli de leurs fautes équivaut à une rémission implicite, comme si les vivants n’avaient qu’une hâte, oublier les défauts dont a été chargé le disparu. C’est probablement une manière de s’absoudre de ses propres fautes, présentes, passées et à venir. Mais comment, dans ces conditions, s’étonner que l’humanité n’ait pas fait davantage de progrès sur la voie de son amélioration, depuis qu’elle raisonne ?

L’âme de tout disparu peut avoir droit au repos, mais il ne faut pas confondre âme et souvenir et surtout, il ne faut pas, sous prétexte de respecter ce repos, méconnaître ou passer par pertes et profits l’influence des mauvaises actions d’un individus, sous prétexte qu’il n’est plus.


Exemple de confession salutaire : “Je supporte de moins en moins ceux qui se montrent contents d’eux-mêmes (et je me supporte moi-même de moins en moins dans cet état, auquel il m'arrive bien entendu de succomber). Non pas qu’à la manière du moine dressé sur sa borne, j’aille jusqu’à imaginer et prêcher un non droit au bonheur, contrepartie de la rédemption, mais nous avons tellement à nous reprocher, au quotidien comme dans la somme de nos actes, individuels comme collectifs !”

Tous coupables


Et l'œil ne cesse pas, du plus profond de l'ombre,
D'accuser de Caïn les descendants sans nombre,
Qui dans leur vanité vont perpétuant le geste
Qui leur valut pourtant un destin si funeste.

Depuis lors, asservie, l'entière humanité
Traîne comme un boulet sa culpabilité ;
Chargée de son passé, accablée de remords
Lancinant à jamais et son âme et son corps,

Elle croît sous le poids de la faute commise
Prétendant, arrogante, à la terre promise ;
À l’Eden qu’elle s’octroie par une absolution
Pétrie d'hypocrisie, de fausse contrition.

L'homme est sans se lasser, le bourreau de son frère.
Il commet chaque jour le vol et l'adultère,
Ignore le malheur dès lors qu’il frappe l’autre.
Égoïste et cupide, il joue le bon apôtre.

Il aggrave son sort sous le poids de la chaîne
Qui le cloue dans la boue, le condamne à la peine
De se considérer, tout comme ses enfants,
Pour toujours condamné aux pires des tourments.

A jamais entravé, soumis à la passion
Sous laquelle il gémit sans espoir de pardon.
Il n’attend de ses dieux plus que leur abandon
S'il arrive parfois qu'il espère en lui-même.