L'âme n'est-elle pas la trace que chacun laisse de son passage ici-bas ? Dans la mesure où chaque constituante de la vie, de la plus infime à la plus importante, imprègne l'univers ?
De la molécule à l'être le plus élaboré – lequel n'est au demeurant rien d'autre qu'un assemblage de molécules –, chacun laisse, de manière indélébile, sa marque dans l'univers. En ce sens, l'existence est d'ailleurs davantage qu'un passage. C'est en ce sens aussi que rien ne se perd. Toute manifestation de la vie est impérissable, dans la mesure où tout s'élabore et se transforme inlassablement, quelle que soit l'ampleur de cette élaboration. Tout acte et toute pensée, des plus insignifiants aux plus spectaculaires contribuent à l'accomplissement du tout.
Ceci est à rapprocher de la métempsycose ; de la croyance en la réincarnation des êtres, mais hors de tout ésotérisme. Chaque trace du passage de toute chose n'est-elle pas intégrée à la vie? Le nid de l'oiseau n'est-il pas fait des fibres arrachées à la toison du mouton et l'herbe que mange celui-ci ne s'est-elle pas nourrie des déchets organiques laissés par l'oiseau ? Notre pensée n'est-elle pas formée de celle de nos prédécesseurs ou inspirée de ce qui nous environne, cet environnement étant lui-même la manifestation d'un tout, résultant de l'accumulation d'une infinité d'actes et de pensées ?
C'est en cela que l'âme est impérissable. Rien ne se perd, y compris les plus infimes manifestations de l'existence, matérielles comme immatérielles.
L'âme collective n'est-elle pas plus plausible que l'âme individuelle, pur produit d'une vanité autorisant l'homme à dépasser les effets de la corruption de son corps. Notre dépouille ne livre-t-elle pas à un courant ininterrompu qui nourrit la vie, toutes les molécules dont elle est constituée, sans exception, sous forme solide, liquide ou gazeuse ?
Chacun d'entre nous vit ainsi en tous les autres, comme tous les autres vivent en chacun d'entre nous. Que nous le voulions ou non et de manière plus ou moins consciente, chacun d'entre nous partage le sort d'autrui, fait de bonheur et le malheur. Nous formons à nous tous comme un corps à la complexité croissant de manière exponentielle avec notre nombre, dont nous serions chacun comme une sorte de cellule, de composante elle-même complexe et simple à la fois. Complexe parce que dotée de conditions d'existence propres, et simple parce que sans signification dès lors qu'elle est détachée de son ensemble. Quoi de plus complexe en effet que chacun d'entre nous, vivant, dans son corps comme dans son esprit, et quoi de plus simple, que ce même individu lorsqu'il est mort, c'est à dire ramené à ses dimensions les plus élémentaires de composants organiques ?
Aucun des occidentaux profitant d'une prospérité mal partagée, n'est davantage étranger au plus obscur des fellahs de la vallée du Nil ou du Gange, qu'il ne l'est du plus riche des hôtes de l'univers. Nous portons tous la souffrance et le bonheur de vivre de tous. Plus exactement, il n'est ni bonheur ni malheur, il n'est qu'une existence neutre et incolore que nous traversons chacun à notre manière pour composer un tout, pendant un temps dont la durée est définie par nos sens, tant qu'ils sont actifs.
Ceci n'exclut en aucune manière, bien au contraire, que nous ayons à participer à l'existence collective en y apportant ce dont la nature nous a doté.
Il n'est pas d'instant, pour un être doué de raison, où il puisse ne pas éprouver le sentiment d'être un autre. Toute son activité intellectuelle en témoigne. Il s'identifie spontanément et immédiatement à la plupart de ceux dont il connaît l'existence, les aventures, la mort, à travers le spectacle de la vie et les représentations qu'ils s'en donne par la lecture, l'image ou simplement l'imagination. Et sa proximité physique ou spirituelle, par rapport aux êtres ou aux événements en cause, ne fait qu'augmenter l'émotion qu'il peut en éprouver.
En dépit des apparences, chaque entité peuplant l'univers n'est-elle pas l'expression immatérielle d'un tout, lui-même aussi immatériel que le reste? Chacune de ces entités n'est pas davantage – comme la moindre des pensées – qu'un souffle imperceptible dans le vaste univers, c'est-à-dire infiniment moins encore qu'une goutte d'eau dans l'océan.
Chacun est ici-bas, à sa manière, la conscience des autres. Et le pire des sorts est d'être la conscience de ceux qui vivent comme s'il n'en avait pas ; ce qui s'appelle porter le malheur du monde.
L’âme et l’esprit ne se confondent-ils pas ? Et dans l’affirmative, quels progrès l’une et l’autre ont-ils accomplis depuis l’origine des temps ?
Si l’âme collective existe, sa combinatoire résulte du nombre et de la complexité de tous ceux qui participent et ont participé à sa élaboration. C’est en cela aussi que l’âme est impérissable. Rien ne se perd, y compris les plus infimes manifestations de l’existence, matérielles comme immatérielles. C’est la suprême chaîne alimentaire du corps et de l'esprit.
Dans l'un de ses nombreux ouvrages, Roger Caratini – mon maître sans qu’il se soit probablement jamais douté à quel point –, pose la question de savoir comment l’être insignifiant qu’est l’homme est parvenu à son niveau de connaissance. Que sa mémoire me permette de penser que ce ne soit pas la bonne question. La bonne question n'est-elle pas : "pourquoi" ?
“Comment” fait appel à l’intelligence ; à une construction déjà organisée, résultant d’une somme de questions et de réponses ; de raisonnements ayant conduit à des connaissances, ou à la "Connaissance", pour ce qu’elle est. “Pourquoi”, s'accorde avec l’esprit ; ce qui précède l’intelligence, ce qui l’autorise en quelque sorte.
N'y a-t-il pas filiation entre intelligence et connaissance ? Celle-ci ne serait rien sans celle-là. La connaissance ne peut que faire suite à l’intelligence, elle-même mère du raisonnement qui, comme son nom l’indique, est le produit de la raison donc de l’esprit.
Que l’intelligence soit fille de l’esprit nous ramène à l’âme, antériorité première et supérieure, au sein de l'univers ; fruit d'une spiritualité ayant fait des hommes les enfants d'eux-mêmes.
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