vendredi 4 janvier 2013

De la foi selon l'agnostique

Le libre-penseur est agnostique, il doute.

L’athée et le croyant ont des certitudes.



« … Et je vous écoutais parler de votre enfer, en songeant à l’orgueil de l’homme qui, pour ses crimes d’un moment, inventa la géhenne éternelle »
Colette - Sido

« Je crois à une cause première que je ne peux définir, il m'est impossible d'apprécier jusqu'à quel point l'auteur de toute chose s'occupe des hommes. Si leur conduite privée pouvait être dirigée par sa volonté, il serait coupable de toutes nos fautes. J'en conclue à l'inefficacité de la prière, la nature étant dirigée par des lois générales qui livrent les événements au hasard et aux fatalités, bonnes ou mauvaises. Je n'ai jamais redouté aucune peine éternelle. Je n'espère aucune récompense, notre passage dans ce monde est trop court pour que rien de ce qui arrive puisse être compassé en bien ou en mal éternel. Ainsi j'ai vécu, ainsi j'espère mourir. Après mon décès suit ce que je désire qu'on exécute ponctuellement. »
Extrait du testament d'Élie Louis Seignette, premier maire d’Angoulins (Charente maritime), rédigé le 25 fructidor de l'an XII  (11 septembre 1804).

« Je considère comme une sorte de stupidité folle de chercher la nature de Dieu, de s’interroger sur ce qu’il est. Car je pense que les hommes ne peuvent pas même comprendre correctement les affaires des hommes, et donc encore moins la nature de Dieu. » Procope


Sans obligation d’anticléricalisme, le libre-penseur ne peut être qu’agnostique, le doute supposant autant la faculté que la liberté de croire. Et au risque de contrarier ceux qui voient dans la libre-pensée, comme d’ailleurs dans l'agnosticisme, et l’athéisme – pour lequel ce serait peut-être aussi justifié que pour le croyant –, une manifestation de vanité ou d’outrecuidance, l’agnostique peut l'être, non par vanité mais au contraire par humilité. Il se distingue en cela du mécréant convaincu de sa supériorité sur le crédule, comme des élus assez imbus d’eux-mêmes pour se juger dignes de rencontrer Dieu ; parfois assez paresseux ou soumis pour faire leur la vérité des autres, en tout cas assez téméraires pour envisager d’affronter au lendemain de leur mort celui qu’ils auront, pour le plus grand nombre d'entre eux, trahi de leur vivant.

Quand bien même il serait tenté de croire et avant que d’en arriver là, le libre-penseur devrait d'ailleurs affronter un choix entre les religions qui s'offrent à lui, sans pouvoir pour autant être davantage l’athée enfermé dans sa religion du non-Dieu. Plutôt que de refuser catégoriquement de croire et encore moins de se placer au-dessus des croyances en les niant, le libre-penseur se situe en retrait par rapport à toutes, avec ce qu’il pense être sa sagesse. Il est agnostique en ce qu’il rejette toute gnose, considérant qu'il ne lui est pas donné de connaître la Vérité. Tout au plus lui arrive-t-il de considérer que si l'homme a un jour disposé de cette faculté, il s’est avéré indigne de la conserver, dans le dédale de sentiments et de contradictions dont l’embrouillamini croît de manière exponentielle avec le temps et le nombre. La débauche de pensées et de discours en résultant, chaque débatteur – dont le libre-penseur lorsqu'il s'accorde le droit à la parole – supplémentaire est avant tout un bavard de plus.

Le raccourci qui consiste à ramener tout au Grand horloger ne peut satisfaire le libre-penseur. La question ne se limite pas pour lui à savoir qui est l’auteur de la grande mécanique, car qui alors a conçu cet auteur ? Et ainsi de suite. La question ne peut être selon lui que complètement posée. Sa curiosité ne peut se satisfaire pas davantage de fragments de réponses que du mystère suprême selon lequel Dieu serait le créateur de lui-même et serait ce qu'il est précisément par cela et inversement. De plus, ni une machinerie aussi sophistiquée soit-elle, ni son inventeur ne lui semblent sujets à adoration. Et le fait d’aller directement à ce prétendu inventeur n’est selon lui que commodité ; manière de fermer les yeux sur la précarité de l’existence, le temps que la vie s’accomplisse et que la foi aidant, peine et inconfort soient réduits à minimum en attendant la fin.

Bien sûr, le supplément de conscience qui semble différencier l’être humain des autres espèces peuplant l’univers connu – différence au demeurant extrêmement variable d’un individu à l’autre –, invite tout un chacun à considérer qu’il a une origine. Mais pour quelles raisons une attention particulière lui aurait-elle été portée, à lui ? Du simple fait qu’il soit un être humain ? C’est omettre que cette espèce compte en définitive ni plus ni moins que toutes les autres qui peuplent l’univers. Le libre-penseur peut ainsi être amené à considérer qu’il fait simplement partie d’un tout, élaboré dans la neutralité la plus absolue en même temps que la plus hasardeuse ; comme peut l’être l'espace intersidéral et les cailloux qui le peuplent, ou ayant au contraire la chaleur extrême des volcans, du magma et des gaz dont ils sont issus, témoins et acteurs apparemment les plus proches de nos origines.

La métaphysique est pour le libre-penseur un corps creux, plus ou moins gonflé par une pensée dont la vaniteuse profondeur et le caractère abstrait – faute de pouvoir faire autrement – laisse la Vérité largement hors de portée de l’homme tout en satisfaisant son goût, dont le libre-penseur n’est pas exempt, pour la spéculation et la polémique. Il est, pour le libre-penseur, des questions autrement plus en rapport avec ce qu’il est et ce qu’il lui semble permis d’en savoir. Il se satisfait de pragmatiques questions, auxquelles d'aussi concrets que possibles éléments de réponse peuvent être apportés par l'observation de ce qui l’entoure et sa propre réflexion, dans la mesure dont le sort l’a doté de ces facultés.

Le libre-penseur refuse d’esquiver certaines évidences. Par exemple, si comme nous le rappelle Malraux « la vie n’est rien, mais rien ne vaut une vie », il veut en savoir plus : Quel est le sens et le poids de cette vie ? Non pas d’une vie mais de la Vie dans le Grand Mécanisme ? Si les hommes tentent de seulement l'imaginer, il leur faut être aveuglés par une vanité sans bornes pour ne pas concevoir que la disparition de l'un d'entre eux, comme d'eux tous, ensemble ou séparément, ou même de la planète ou de la galaxie qu’ils habitent, seraient sans la moindre incidence sur le fonctionnement de l’ensemble. Parmi les astres, infiniment plus nombreux dans l'univers que les individus qui ont jamais peuplés la terre, quel est celui dont le mouvement se trouverait perturbé aussi peu que ce soit par la disparition de cette dernière ? Et quand bien même il y aurait perturbation, à quelle échelle supérieure de son mouvement l’univers s’en trouverait-il affecté aussi peu que ce soit ?

Si l’espèce s’est montrée capable d’assurer jusqu’ici sa survie, dans des conditions dont il y a toujours davantage à dire, au fur et à mesure que le temps passe et que le nombre augmente, il est clair que cela s’est fait dans une angoisse due à son ignorance. Elle a de tout temps cherché les moyens d’améliorer son sort au détriment des autres, de la même manière qu’au sein de l'espèce humaine chaque individu procède en se souciant prioritairement de soi-même. Ceci ne se faisant pas sans dommages ni compromissions, en l’absence de l’aide demandée aux dieux et si chichement accordée, restait, une fois son égocentrisme et sa vanité reconnues, à obtenir leur absolution pour vivre en paix, au moins avec sa propre conscience en attendant la récidive. Les hommes ressentant le besoin de cette absolution davantage encore que de secours, ils l’ont sollicitée de dieux inventés à cette fin. Multiples ou unique, ceux-ci ont été dès lors le moyen le plus sûr, sinon de cautionner les pires actes, au moins d’obtenir une rémission mettant l'être humain suffisamment à l’aise pour en commettre d’autres.


Restent la conscience et la liberté, qui seraient accordées à chacun d'entre nous pour mener sa vie ici-bas au mieux de ses intérêt spirituels. Qui peut encore y croire après que le peu de clairvoyance que nous accorde la science nous éclaire chaque jour un peu plus sur le caractère imprévisible autant qu'invincible dont le temporel pèse d'un poids dont nul ne peut s'affranchir ? Quid des manifestations si injustes de la nature que seule peut accepter une foi aveugle par définition et auxquelles l'homme ne peut rien opposer d'autre que sa résignation ou la vaine révolte ? Quid des injustices nées des faiblesses de l'être humain, attachées à une condition d'abord héritée de géniteurs désignés par le hasard, et dont le moindre détail ne peut être imputable qu'à des raisons qui nous dépassent ?


En tout cas, que Dieu soit ou non le pur produit de ses angoisses, en dépit de tous ses efforts et des progrès de sa connaissance, l’homme s'est montré jusqu'ici incapable de rencontrer son créateur ou sa créature – c'est selon – autrement que par l’esprit, ce qui pour beaucoup n’est que la preuve de cette imagination déraisonnable que d’autres qualifient de Foi. Bien sûr, des cohortes d’élus ont ce privilège, mais encore se trouve-t-il qu’il y sont aussi favorablement que hasardeusement disposés.
Des collèges de dieux ont un temps aidé l’homme à surmonter l'inconfort de son existence, et c'est encore le cas en certains endroits de la planète. Mais la formule manque de simplicité et s’avère aussi peu propice à l’organisation ici-bas qu’à l'équilibre d’un au-delà reflétant, faute d’imagination, des conditions d’existence temporelles. Il a donc été tenté du monothéisme. Ce n'est pas pour autant que les hommes sont parvenus à se mettre d'accord entre eux sur le sujet. Les références des uns et des autres étant différentes, pour de simples raisons de climat, d’environnement, d’alimentation, de culture, d’époque, ..., chaque grand groupe humain, ou civilisation s'est inventé, sans se priver, de copier sur son voisin un Dieu à son propre usage.

Une autre échappée peut nourrir la réflexion du libre-penseur et répondre à certaines questions qu’il se pose quant à ses origines et à son devenir. Elle réside dans les philosophies non déistes dont le meilleur exemple est le bouddhisme, souvent considéré à tort comme une religion ou pour le moins hissé à ce statut sous l'effet d'une angoisse dépassée par ses adeptes les plus accomplis.


Tolérant, le libre-penseur évite en tout cas de tomber dans les excès de l’athéisme faisant de l’incroyance une religion du non-Dieu, aussi radicale que d’autres, avec ses prophètes, ses clercs et ses grands prêtres. Il tente de se garder de la vanité qui, tout en prétendant se passer de Dieu, conduit à celle qui habite quiconque se croit digne de la considération du Tout-puissant. Il y a lieu en effet de ne pas confondre la libre-pensée avec un anticléricalisme primaire amalgamant politique et religion ; fait de convictions quant à la nécessité de séparer l’église de l’État, le temporel du spirituel, et du rejet de tout ce qui s’y oppose. Pour le libre-penseur, le respect est dû à toutes les croyances, quelles qu'elles soient. Il reconnaît à autrui la liberté de pensée qu’il s’accorde à lui-même.

Il peut avoir une raison supérieure de se montrer tolérant à l’égard des religions. Comme en atteste l’histoire, celles-ci sont indéniablement porteuses des principes moraux et organisateurs qui semblent avoir vaincu au moins les apparences de la barbarie. Sa spiritualité et la foi qui peut en découler peuvent par conséquent être considérées comme un don précieux fait à l'homme, résultant de la nécessité de vivre avec ses semblables. Elle peuvent aussi bien être considérées comme des moyens offerts à chacun de supporter les moments les plus difficiles de son existence, au point que l'envie peut parfois venir de compter parmi ceux qui y trouvent le réconfort dans leurs épreuves.

La Foi apparaît à certains comme la manifestation, voire l'expression, de la Raison, en ce sens qu’elle s’oppose à une fantaisie négligeant le progrès et consistant à laisser errer sa pensée dans l’ignorance des bénéfices pouvant résulter des efforts effectués par d’autres tout au long du chemin sinueux de la vie. Mais il n’est pas donné à chacun de se priver de sa part de rationalisme ou d'anti-conformisme, pour partager ce qui peut passer à ses yeux pour de la superstition et une crédulité excessive. Certains ne peuvent se résoudre à croire sans preuves, démontrant en cela leur vanité, mais la préférant à celle affichée par d’autres, aussi respectables que soient les croyances qu'elle prétend expliquer.


Il arrive de perdre la foi après avoir vainement quêté l’absolu ; notamment lorsque enfant, quand une crédulité favorisée par l'innocence porte naturellement à chercher dans les croyances enseignées des réponses à ses interrogations. Ces croyances sont alors partagées dans l’habitude et la tradition et assorties d’un sentiment religieux et d’une pratique fréquemment assez vagues ou relâchés. Peu exigeantes à l’égard de ceux qui se trouvent dans ce cas, elles les exemptent d’une discipline de pensée telle que l’inculque une réelle éducation religieuse. Juste conséquence d’une conviction insuffisamment étayée par l’éducation, ils peuvent perdre ensuite progressivement leur peu de foi, soit par refus d'une injustice qu’ils découvrent avec le temps et dont ils se considèrent concurremment complice et ennemi. Contraints par l’existence à la tartuferie faisant de cette injustice la règle, c’est leur manière de rejeter l’hypocrisie, plus grande encore, qui conduit à s’en absoudre imperturbablement.


Pour les cyniques, les religions sont des constructions humaines faites pour rendre supportable cette injustice omniprésente. Pour le libre-penseur, des êtres doués de la faculté de raisonner doivent chercher les moyens de lutter contre l'injustice de leur sort et non l'admettre avec la part de fatalisme qui est à la base de toute religion. Il ne peut se résoudre à admettre le machiavélisme ou le sadisme d'un pouvoir suprême, dispensateur à la fois de la vie et de son contraire, du malheur comme de la félicité, et néanmoins considéré comme infiniment bon.

Alors que l’authentique révélation, qui ne peut être qu’Une, semble échapper chaque jour davantage à des humains dont l’angoisse croît avec leur nombre et leur appétit pour les richesses matérielles, le bien et le mal continuent de ne pouvoir être davantage confondus que distingués. Comment dès lors choisir entre les deux ? C’est l’une des questions fondamentales que se pose le libre-penseur. La lucidité nécessaire étant interdite à l'homme par le fait même qu'il soit mortel, il est compréhensible qu’il ait saisi, comme possibilité de pallier cette carence, la codification de son imaginaire. Le fait d'être doté d'un esprit abusivement rationnel, susceptible d’être pris en défaut par des vues divines, n'enlève rien au problème, bien au contraire. Comme déjà dit, le libre-penseur rejette le fatalisme qui pourrait lui faire accepter une condition dont le caractère demeure avant tout misérable, quelles que soient les promesses de compensation ici ou ailleurs, et que celles-ci soient dispensées à tous dans l'au-delà ou aux derniers représentants d'une espèce parvenant à la perfection après des efforts que le plus grand nombre de ceux qui les auront faits ne sera plus présent pour en bénéficier. Le marchandage ainsi proposé lui est d’autant moins concevable que la promesse de rachat universel doit s’accommoder d’une résurrection, phénomène qu’il ne peut concevoir du seul fait de la corruption de ses composants organiques et de la disparition des fonctions mentales qui en résulte. Ce qui n'est pas plus incompatible avec une résignation lucide face à la mort qu'avec le caractère précaire et éphémère de l'existence.


Le libre-penseur peut aussi de ne pas croire par refus de se prendre suffisamment au sérieux pour s'inventer un Dieu ou simplement participer à cette invention collective. Si une telle attitude peut être taxée d’orgueil, une telle appréciation résiste mal à la question de savoir pourquoi le bénéfice de l'âme, siège de la foi, ne saurait être étendu aux espèces réputées en être dépourvues. L’orgueil devenant vanité, quid du fait de se considérer comme un être privilégié, au point de mériter l’attention particulière du créateur de toutes choses ?

Reste à respecter l'avis d'autrui et sa liberté, en évitant de lui imposer une religion s’il n’en a pas, ou une autre que la sienne s’il est croyant. Pour le libre penseur, nul n’est en mesure de considérer ses propres croyances comme seules dignes de foi et encore moins de les imposer comme telles. C’est déjà tenter de vivre dans le meilleur respect possible d’un environnement dont peu importe quelles en sont l’origine ou les finalités. Paradoxalement, le libre-penseur, par refus de toute doctrine, ne peut donc que se montrer tolérant. Il y parvient avec un succès variable, lorsqu'il cède à l'atavisme d’un prosélytisme judéo-chrétien faisant obligation au croyant de propager ce qu’il croit être la seule bonne parole. Mais ceci n'a rien à voir avec la foi en tant qu'acceptation des "Mystères" ; avec la croyance, distincte du culte; avec le dogme, si différent de la Vérité.

S'il peut arriver à l'agnostique de regretter et d'envier, sinon le confort au moins la sérénité que peut procurer la foi – confort ignoré de ceux qui en bénéficient, dès lors qu'ils sont sincères – ce sentiment se heurte immédiatement à sa faculté de raisonnement. Serait-ce à dire que la foi n'admet pas la raison, tout comme l'amour ou toute autre forme de passion? Il est en tout cas étrange de retrouver fortuitement associés, face à la raison, les mots de foi, d'amour et de passion. Les croyants pourront s'en réjouir, sans en tirer de conclusions hâtives.

Certains avancent comme preuve de l'existence d'un créateur dont ils sont l'image – et c'est leur argument le plus péremptoire –, l'esprit dominant la matière. Mais si la matière est partout présente, en chacun d'entre nous comme en tout ce qui nous entoure ; palpable et analysable, qu'est-ce que l'esprit ? En quoi se différencie-t-il de la matière, sinon par le caractère apparemment abstrait, immatériel, de ses constituantes ? Cette immatérialité n'est-elle pas simplement de nature chimique ou plus exactement ne résulte-t-elle pas de réactions de cet ordre, discrètes au point d'échapper à nos sens ; donc à une observation directe ? Comme il est possible de mettre la machine et l'ordinateur en panne en sectionnant l'un de leurs fils, ou de les rendre plus performants en leur ajoutant un composant, l'esprit, en tant que capacité de raisonner, de croire, peut parfaitement être développé, amoindri, orienté, conditionné, par l'apport d'une substance choisie à cette fin. Les expériences en sont nombreuses, en bien comme en mal, et s'il est possible de modifier des comportements par l'effet de médicaments et de drogues, il le serait probablement de rendre croyant, par intervention chimique, celui qui ne l'est pas et vice-versa. Il ne peut y avoir de foi sans esprit, mais et si les orientations de celui-ci peuvent dépendre de la structure moléculaire – modifiable à volonté – de celui qui en est équipé, quelle vanité que de s'imaginer en être doté par une volonté supérieure ! D'ailleurs, supérieure à qui ? A quoi ? Le seul état de nos organes et surtout la manière dont ils fonctionnent, dont ils produisent nos hormones, dont ils génèrent et gèrent les cellules dont nous sommes faits, nous amènent à accepter ou rejeter, à un moment donné, une dose d’irréalité, donc de foi, plus ou moins importante. Ne sommes-nous pas chacun, tous autant que nous sommes, un assemblage organique résultant de circonstances et d'une évolution dont nous savons bien peu de choses, sinon que leur caractère aléatoire nous différencie les uns des autres, comme d'ailleurs la génétique le confirme.


Et pourtant, du fait d'un destin commun qu'impose la vie de l'espèce telle que nous l'avons organisée, chacun de nous est présent chez chacun des êtres qui peuplent notre univers et inversement, tous ces êtres sont en chacun d’entre nous. Quel que soit le nombre et la variété de ces êtres ; quel que puisse être le refus de cette amalgame, de cette interdépendance ; quel que soit l’égocentrisme au nom duquel puisse s’exprimer un tel rejet. La condition de chacun : sa richesse ou sa misère, la couleur de sa peau, sa santé, son caractère, ses défauts et ses qualités, sont en tous et vice versa. Le tout que forme l'espèce humaine – comme toute autre espèce – existe par l'individu et l'individu existe par le tout. Nous sommes le produit des uns par les autres, d’autant moins saisissable et compréhensible que notre nombre croît.


« Voyons cher Monsieur ... » me disait un jour un vieux curé que sa foi inébranlable et sa pieuse sagesse avaient conduit d'une modeste cure à l'enseignement du droit canon à l'université de Latran, rencontré au hasard d’un voyage : « ... Dieu, le Diable n’existent que l’un par l’autre, au point qu'il soit permis de se demander si çà n’est pas la même chose. Et il en est de même pour le jour et la nuit, le noir et le blanc, la jeunesse et la vieillesse, la vie et la mort ». Dès lors, pourquoi la création ne serait-elle pas l'œuvre du mal plutôt que du bien ? Tout se confond en dépit des efforts des hommes pour y mettre de l’ordre, à commencer par les occidentaux avec leur cartésianisme. L’univers serait ainsi une création de Satan qui aurait inventé l’homme, à qui il aurait ensuite suggéré de s’inventer des dieux. Mais si Dieu et le Diable sont un, croire à l’un est croire à l’autre. Ainsi des merveilles d’ingéniosité créatrice ayant présidé à l’élaboration du corps animal et de ses divers organes. Le foie par exemple : Tous les humains chez qui cette viscère joue normalement son rôle et filtre avec suffisamment de conscience leur dose quotidienne de Chivas, de "gros rouge" ou de tequila, n'ont qu’à se louer des bienfaits de la nature et se son créateur. Quant aux autres, il leur reste, et ils ne s’en privent pas, à rendre grâce au même d’avoir songé dans son infinie bonté, à créer des générations de médecins et de savants en tout genre, capables d’en pénétrer les secrets, d’en contrarier les déviances, allant même parfois jusqu’à la guérison... ou à l'ablation. Tout ça n’est-il pas merveilleux ? Ou encore de la procréation. Les opposants primaires à l’interruption de grossesse, avant de trouver des raisons péremptoirement scientifiques selon lesquelles l’embryon est autre chose qu’une sorte de larve et qu’à ce titre le respect lui est dû tout autant qu'à n’importe quel être fini, usaient d’un argument qui semble avoir fait long feu. Il arguaient des prodiges dont se privait ainsi la société. De quel grand bienfaiteur l’humanité ne risque-t-elle pas se priver en interrompant une grossesse ? C’est encore l’optimisme de la foi qui s’exprime benoîtement, en refusant de considérer que statistiquement, la probabilité est plus grande de faire naître un malheureux de plus ; un gueux ; un de ceux qui contaminent et pervertissent l'espèce, plutôt qu’un de ces heureux élus qui lui conserveraient ses qualités, à défaut de les améliorer.


En résumé, l'agnostique peut croire, non pas en mais à une entité et non pas puissance, s'agissant d'un concept reposant déjà sur une interprétation purement humaine des interactions entre les composantes de l'univers telles qu'il est permis à l’homme de pouvoir les observer et les comprendre ; génératrice de tout ce qui compose le connu et l'inconnu. Il refuse par contre de qualifier cette entité, au nom d'une croyance plus ou moins superstitieuse, quels qu'en soient les arrangements pour tenter de la hisser au rang métaphysique, mot vide de sens pour l'agnostique. Considérant l'incapacité de l'être humain à maîtriser son destin, que cet état de fait résulte ou non d'une volonté supérieure, il considère que la connaissance de cette entité lui est inaccessible, du seul fait de sa propre nature, dont la réalité se perd dans une nuit des temps dont l'humanité semble s'éloigner chaque jour davantage, tout en prétendant s'en rapprocher.


Il existe en tout état de cause, pour l'agnostique, des problèmes autrement plus urgents et importants à résoudre, à commencer par l'organisation et l'accomplissement de la vie, dont les suites éventuelles ne peuvent que découler.



Add.

Il se trouve que aujourd’hui même, dimanche (12 janvier 2014), j’ai dû passer une partie de la matinée dans mon lit et qu’il m’a 
ainsi été donné d’écouter à la télévision la parole divine, dispensée par les ministres des principaux cultes : Bouddhistes, Musulmans, Chrétiens Orthodoxes, catholiques et protestants, juifs, se sont exprimés par leurs voix, qui ont d’ailleurs fini par m’endormir.

J’en avais toutefois assez entendu pour me confirmer dans l’opinion que les religions ne sont – après comme avant tout – que des tentatives d’explication de l’inexplicable, redevables de leurs succès à l’angoisse existentielle de l’homme et à sa vanité. Le besoin de paraître plus savant que ses semblables, la jactance et la crédulité du plus grand nombre, ont fait le reste et continuent de plus belle, dans un monde de plus en plus inquiétant.

La meilleure preuve en est, selon moi, l’évolution du Bouddhisme, en train de passer sous nos yeux du statut de philosophie à celui de religion, en transformant celui qui n'avait apparemment pas d'autre ambition que de partager les fruits de sa méditation, en l’envoyé d’un Dieu de plus, appelé à se confondre avec ceux que désignent toutes les religions monothéistes. Triomphe de la spiritualité unifiée ou de la crédulité ?

7 commentaires:

Anonyme a dit…

"il considère que la connaissance de cette entité lui est inaccessible, du seul fait de sa propre nature,"

Cette entité est accessible et vous y aurai accès par le jeûne.

Mais un jeûne préparé judicieusement afin d'en retirer tous les bénéfices par la suite.

Salutations distinguées.

jfbelliard@tlb.sympatico.ca

Anonyme a dit…

The Greatest History Lesson - John Taylor Gatto - The Truth About Your Education

http://www.youtube.com/watch?v=GxCuc-2tfgk

À partir le 4:49:00 les 6 "fonctions" de l'Éducation pour perpétuer la pyramide sociale actuelle.

à 5:15:00 Son legs pour l'humain.

Le Gaiagénaire

Anonyme a dit…

@ Anonyme
L'agnostique ne doute pas que le jeûne puisse compter parmi les nombreux moyens – prière, méditation pure ou assistée ; catéchèse, peur (cette prétendue mère de la sagesse), etc. – de conduire l'individu à croire en Dieu. Mais il faut un minimum de cette foi pour y avoir recours en jeûnant par exemple. Or c'est précisément parce que la foi est ainsi manipulable que l'agnostique s'y refuse, préférant s'en remettre à son libre arbitre.

Anonyme a dit…

D'où vient la foi de l'agnostique qui va dormir le soir et s'éveiller le lendemain.

Le Gaîagénaire

Anonyme a dit…

"Cette entité est accessible et vous y aurai accès par le jeûne."

Je n'ai pas écrit Dieu et je ne vous ai pas parlé des "nombreux moyens".

Et jeûne n'est pas au pluriel non plus. Ni du Ramadan.

Le Gaîagénaire

Anonyme a dit…

Le jeûne n'est-il pas une pratique relevant de la simple hygiène alimentaire, récupérée par les religions dans leur élan de sacralisation et de codification des comportements humains ?

Le Gaïagénaire a dit…

@Anonyme 28 avril 2019

Les "religieux" sont tous des manipulateurs qui n'ont pas jeûné eux-mêmes. Le Ramadan n'est pas un jeûne.

Le jeûne n'est pas une pratique d'hygiène alimentaire.

Vous trouverez beaucoup de réponses à TOUTES vos questions là:

http://nature-sante.org/category/articles/jeune/jeune-au-quebec/