Selon le code français de la politesse, l'usage du vous marque indéniablement, une distance, une considération, que ne confère pas le tu. Pour l’anglais par contre, le vous est d'usage à l'égard de tous les êtres humains. Ceci n’induit-il pas une notion d’égalité fondamentale, dont l’usage différencié du tu et du vous, selon la personne à laquelle ils s’adressent, est la négation ?
Une remarque du même ordre s’applique d’ailleurs à l’usage du prénom. Alors que les Anglo-saxons déclinent spontanément leur prénom pour un emploi immédiat par le premier interlocuteur venu, qui n’hésite pas à agir réciproquement, le Français en est loin. Soit par une sorte de réserve, soit par manque de simplicité, il préfère nommer l’autre, comme lui-même, en faisant précéder son nom du titre de Madame, Mademoiselle ou Monsieur, marquant de la sorte une distance aussi peu égalitaire qu’archaïque dans sa relation avec autrui. Il est vrai que d’autres langues européennes, comme l’espagnol ou l’italien, par exemple, font mieux encore, qui usent de titres plus ronflants et distinctifs les uns que les autres et vont même jusqu'à user de la troisième personne pour s'adresser à autrui.
N'est-il pas étrange que la situation ne soit pas inverse ? Et que justement dans la langue de ceux qui se prétendent les promoteurs – quand leur chauvinisme légendaire ne les conduit pas à se prendre pour ses inventeurs – de l’égalité et de la fraternité, le tutoiement soit pratiqué en signe de familiarité, le vouvoiement étant quant à lui réservé à des rapports plus distants, respectueux, polis, voire obséquieux. Il faut reconnaître à cet égard que nos politiciens de gauche, auxquels ceux de droite ont rapidement emboîté le pas, ont grandement innové dans les années 60 avec l’emploi du prénom et du tutoiement pour communiquer entre eux, ce qui est peut-être l’avancée sociale la plus importante qu’aient pratiquée depuis longtemps les uns et les autres ; renouant en cela avec les efforts des révolutionnaires de 89 ayant vainement tenté d’instituer l’usage du ci-devant et du citoyen, puis de la gauche prolétarienne ayant tenté du camarade.
Quoi qu’il en soit, l’emploi du tu, après ces tentatives d'imprégner les rapports entre les hommes d'une marque se voulant d'égalité et de fraternité n'a-t-il pas atteint des résultats diamétralement opposés ? En d'autres termes, le tu n’implique-t’il pas, en raison de son caractère familier voire condescendant, une sorte de banalisation, de nivellement humiliant, à l'égard de ceux à qui il est réservé, dès lors que l'emploi du vous est permis et même recommandé pour marquer une reconnaissance assortie d’un supplément de respect face à d'autres ? Ceci peut sembler d'autant plus vrai que l'emploi du vous anglais ne s'avère aucunement opposé aux principes d'égalité, de fraternité ou de simple proximité, tout en valorisant les individus les uns par rapport aux autres ; ce faisant, tout un chacun, en toute circonstance, se voit témoigner non plus de la distance, mais de la déférence, ce respect, que marque le vouvoiement. Il en est comme si l'usage du vous rehaussait le statut de chacun, contrairement au tu, qui nivelle par la base.
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